
Vous trouverez ici un florilège des œuvres de l’esprit médiévales conservées en Aquitaine. Sur les 484 manuscrits recensés :
• 81 sont ici présentés dans leur intégralité, pour leur beauté formelle ou leur intérêt historique
• toutes les enluminures, décors, lettrines, dessins, notes, sont reproduites, soit… 6500 images
Le site remet les œuvres dans leur contexte :
• production intellectuelle, organisation sociale, diversité linguistique au Moyen Âge
• repères nécessaires sur le style, l’art du livre et l’histoire des collections
Pensée pour l’éducation artistique et culturelle , cette production vient en complément des travaux de nos partenaires : mise en ligne complète des textes par l’IRHT, numérisation des documents aquitains par la BnF et le Puy du Fou.
À l’époque romane, les livres saints constituent le cœur du travail des scriptoria. L’enseignement et la méditation, propres à la culture cléricale et monastique, reposent en effet sur l’étude de l’Ancien et du Nouveau Testaments. La Bible est ainsi le livre le plus copié en Occident, au cours du XIe siècle. Elle offre alors en général un grand format qui peut aller jusqu’à atteindre des dimensions monumentales ; ces formats imposants témoignent à la fois de son usage au sein du rituel liturgique et du statut particulier de ce livre, le Livre.
La Bible n’était donc pas, au Moyen Âge, un simple objet d’usage. La religion chrétienne étant une religion du livre, la société médiévale accordait une valeur particulière au livre religieux. Le premier d’entre eux par ordre d’importance, la Bible, le livre des livres, portait témoignage de la promesse du Salut et, en tant que tel était à la fois un objet usuel de la liturgie et un objet sacré participant de cette même liturgie. En d’autres termes, le christianisme ne faisait pas de différence entre la Bible support d’un message et le message qu’il transmettait, entre la forme et le fond : la Bible ne contenait pas seulement l’Evangile, elle était l’Evangile.
Une façon de saisir cette importance est d’observer l’iconographie du catalogue. Les représentations du Livre y sont nombreuses, dans les mains des Majestés divines ou dans celles des Evangélistes et des personnages de l’Ancien Testament, par exemple. Objet au caractère sacré, la Bible figure au sein des images sacrées. Il arrivait d’ailleurs qu’une Bible considérée comme ayant appartenu à un saint évangélisateur fut vénérée à la manière d’une relique, au même titre qu’une châsse, et exposée sur l’autel ou conservée dans un reliquaire.
Au XIIe siècle, l’ambition des enlumineurs était d’illustrer l’ensemble de la Bible qui, à l’époque, était souvent composée de plusieurs volumes. Cela est particulièrement vrai s’agissant des Bibles monumentales, au format surdimensionné. Ces Bibles géantes furent produites seulement au cours de l’époque romane et dans l’ensemble des grands centres de production de manuscrits en Occident. Les Bibles romanes contenues dans notre catalogue, parmi lesquelles celle de La Sauve-Majeure constitue un exemple remarquable, témoignent d’une autre particularité des Bibles romanes : l’art d’enluminer les initiales, une des plus intéressantes contributions des peintres à l’art de cette époque.
Un évangéliaire, comme son nom l’indique, contient des extraits des Evangiles. Ceux-ci y sont présentés selon l’ordre de l’année liturgique, à la suite de la table des canons, double page indiquant au lecteur les passages concordants dans les différents Evangiles. L’année liturgique, selon laquelle sont présentés les Evangiles, comprend quatre grands moments que sont l’Avent (célébrant la venue du Christ, des quatre semaines qui précèdent la Nativité à l’Epiphanie), le Cycle pascal, Carême, le Temps pascal (de la semaine sainte à Pentecôte) et deux périodes intermédiaires nommés Temps ordinaires.
Outre les Bibles monumentales, suivent en nombre, à l’époque romane, les écrits des Pères de l’Eglise (Augustin, Jérôme, Ambroise et Grégoire) et leurs commentaires et gloses provenant d’auteurs plus ou moins récents, piliers de toute bibliothèque monastique ou canoniale. La tradition des commentaires et des gloses gagne également les Evangiles et la Bible.
Enfin, outre ces références aux textes patristiques, les saints apparaissent dans les livres hagiographiques. Dédiés à la vie de tel ou tel saint local et majeur pour l’histoire d’une communauté religieuse (saint fondateur d’une abbaye, saint évêque), ils ancrent justement cette communauté dans l’histoire et légitiment son pouvoir à travers la mémoire de ses origines. Ces livres constituent de véritables placards publicitaires pour lesdites communautés, à l’heure même où se développement les pèlerinages et le culte des reliques. Avec le temps, d’autres types de récits apparaissent en complément de ces Vitae ; compositions nouvelles portant sur des saints anciens ou récents et compilations de récits hagiographiques, à l’instar de la Légende dorée de Jacques de Voragine au XIIIe siècle, selon leur nature, ces récits gagnent le monde laïc et ponctuent notamment les manuscrits de dévotion privée. Par ailleurs, certaines images faisant référence à un événement précis de la vie d’un saint historique ou légendaire sont devenues emblématiques (saint Michel terrassant le dragon, etc.) et ont été privilégiées pour exprimer une idée, pour illustrer un propos développé au fil d’un manuscrit.
Avec le développement des écoles et des universités, les XIIe et XIIIe siècles virent apparaître une nouvelle pratique de la lecture des textes saints. Désormais, l’étude de la Bible et d’autres textes par les maîtres et leurs étudiants, impliquait la production de manuscrits d’étude, aux formats plus modestes. Aussi, les libraires se sont-ils attachés à produire en grandes quantités des Bibles de poche, plus économiques, plus maniables et facilement transportables. Les décors y sont réduits à leur plus simple expression ; par endroits, des lettrines simples ponctuent le récit présenté sur deux colonnes et dans une graphie serrée.
La Bible demeure, en revanche, peu présente dans les bibliothèques des laïcs qui ne fréquentent pas l’université. Certes, elles figurent parmi les ouvrages que les grands collectionneurs se doivent de posséder et sont alors richement ornées. Mais, la méconnaissance du latin, langue de la Bible, par une large part de l’aristocratie freine en partie cette diffusion.
Pour y remédier, à partir de la fin du XIIIe siècle, fleurissent des versions traduites de la Bible en langue vulgaire, à destination des lecteurs laïcs. Ces traductions sont complètes ou, plus fréquemment, concernent uniquement certaines parties de la Bible (psaumes, Evangiles, etc.). Ainsi se diffusent de nouveaux livres de dévotion destinés aux laïcs et dont le succès est confirmé par le nombre d’exemplaires de psautiers et de livres d’Heures encore conservés.
Hormis dans les bibliothèques des grands collectionneurs et dans celles des laïcs qui fréquentent l’Université, les textes saints sont peu nombreux dans les mains des laïcs au début de l’époque gothique. La méconnaissance du latin, langue de la Bible, par une large part de l’aristocratie explique en partie cette faible diffusion.
Toutefois, au XIIe siècle et surtout à partir de la fin du XIIIe siècle, fleurissent des traductions partielles de la Bible en langue vulgaire, à destination des lecteurs laïcs. Ces versions présentent plus particulièrement certains livres de la Bible (Psaumes, Evangiles, etc.) et participent à rythmer la journée et l’année selon le temps de l’Eglise.
Ainsi, outre les nombreux livres liturgiques permettant aux communautés religieuses d’assurer l’office quotidiennement, se diffusent hors du cloître des livres de dévotion destinés aux laïcs (bréviaire, psautier et livre d’Heures). De petit format, maniables, transportables et richement illustrés, ils deviennent de véritables best-sellers, succès dont témoigne le nombre d’exemplaires encore conservés dans les collections publiques.
Le psautier, dont l’utilisation est définie dans les différentes règles monastiques, est le plus ancien livre liturgique de l’office. Détaché de la Bible, il se charge de nombreuses foncions. Il devient le manuscrit de prédilection du chantre, pour la direction du chœur des moines, et le livre fondamental du moine pour suivre la liturgie des heures (matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies). Il constitue aussi le support privilégié de l’apprentissage de la lecture.
Au XIIIe siècle, son évidente commodité favorise son exportation hors de l’enceinte monacale, pour gagner les bibliothèques laïques. Ici également, le psautier devient un livre de méditation et un livre d’apprentissage de la lecture, alors que grandit, dans les familles de la noblesse, un double engouement pour la lecture et pour la dévotion privée.
Le psautier est composite. Son agencement varie au cours des siècles, selon la liturgie en usage et selon les besoins de ses usagers. Ainsi, il ne cesse de se perfectionner depuis les Ve-VIe siècles. Fondamentalement, il s’agit d’un recueil de psaumes, textes poétiques religieux rassemblés dans l’Ancien Testament. Sur cette base, le psautier liturgique signale les sept subdivisions de la semaine et, pour chaque psaume, sa place dans l’office. Le livre se conclue systématiquement par des cantiques, le Te Deum, le Gloria et une litanie. D’autres textes et chants, par exemple un calendrier ou des hymnes pour les jours de la semaine, complètent cet ensemble selon les besoins particuliers. Au XIe siècle, la création du bréviaire vient compléter ce recueil.
L’illustration du psautier varie aussi selon les époques et ses usages. Une miniature pleine-page figurant David, peut débuter le manuscrit, mais, en général, l’essentiel des miniatures viennent mettre en image le texte, voire le développer, le commenter, dans des initiales. Plusieurs systèmes d’illustration sont employés, choisissant de mettre en image chaque psaume ou au contraire de se concentrer sur le premier ou les premiers psaumes de chaque groupe, lorsque le psautier est divisé en trois ou cinq groupes de psaumes. Enfin, les psautiers de dévotion privée offrent parfois la particularité d’être de très petites dimensions. Ici, l’illustration se résume souvent au décor ornemental et la représentation de David.
Le bréviaire apparaît tardivement, au XIe siècle. Il s’agit, avant tout, d’un recueil liturgique destiné aux moines, rassemblant l’ensemble des textes de l’office divin. On y trouve rassemblés les psaumes et les hymnes ainsi qu’un antiphonaire (recueil de chants sacrés), un collectaire et un lectionnaire. Sorte d’aide-mémoire, recueil des lectures essentielles de l’office, le bréviaire devient ainsi rapidement le livre liturgique privilégié des moines, en complément du psautier.
Il est le premier livre liturgique à quitter le cloître pour gagner le monde profane (XIIe siècle). Il est alors de petites dimensions et réunit les textes essentiels à la prière des laïcs. Psaumes, hymnes, lectures, cantiques, offices de l’ensemble de la journée s’y succèdent. Les offices présentent les prières à réciter quotidiennement selon les heures liturgiques (matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies). Ils sont complétés par le Propre des saints et un Petit office de la Vierge. Bréviaire et psautiers constituent les prémices du livre d’Heures, qui connut un immense succès auprès des membres de la société laïque à partir du XIVe siècle et que les commanditaires les plus aisés firent richement illustrer.
Au XIIIe siècle, alors que l’usage du psautier est à son apogée dans société laïque, le Petit office de la Vierge contenu dans le bréviaire devient autonome, témoin de l’essor du culte marial depuis le XIIe siècle. Dès lors, il constitue rapidement le cœur d’un nouvel ouvrage de dévotion, le livre d’Heures, qui gagne la faveur des laïcs et supplante l’usage du psautier dès le XIVe siècle. Plus exactement, si l’engouement pour le psautier perdure, le livre d’Heures est, parmi les manuscrits de la fin du Moyen Âge, le plus copié et le plus enluminé et, du reste, celui conservé en plus grand nombre aujourd’hui dans les collections publiques.
Son nom provient des heures liturgiques, qui ponctuent la journée des moines et du chrétien, au rythme de trois de nos heures actuelles, de minuit à vingt-et-une heures (matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies). Tandis que les cloches des églises scandent ces heures, les moines se réunissent pour prier. Les laïcs, quant à eux, peuvent quotidiennement faire de même, seuls ou en famille, la lecture de leur livre d’Heures.
Ce livre, cet objet précieux se charge d’annotations en marges, de portraits, d’écus armoriés, d’emblèmes dynastiques et de devises. Offert notamment à l’occasion des mariages, il se transmet ensuite dans la lignée familiale et conserve ainsi le souvenir des événements marquants de chacun de ses propriétaires successifs. Il est donc tout à la fois le support privilégié d’une dévotion qui relève de la sphère intime et un objet de prestige social et de mémoire familiale.
Autour du Petit office de la Vierge, s’organisent divers textes déjà présents dans le bréviaire et dans le psautier. Certains d’entre eux sont réputés essentiels et présents dans la majeure partie des exemplaires connus. Outre l’office de la Vierge, il s’agit du calendrier, des psaumes de David, des litanies et de l’office des morts.
Généralement, le calendrier débute le manuscrit. Il présente les fêtes principales en usage dans le diocèse de son commanditaire et celles des saints locaux. Toutefois, à la fin du Moyen Âge, se généralise en France l’emploi des calendriers à l’usage de Rome ou de Paris. Quoi qu’il en soit, l’organisation du calendrier est stable : quand il est illustré, à chaque double feuillet consacré à un mois, correspond une illustration des travaux du mois ainsi que des signes zodiacaux.
Suivent les Heures de la Vierge, office composé, pour chaque heure liturgique, d’un verset et d’un répons d’introduction, du Gloria, d’une antienne, de psaumes, de capitules et de courts extraits de psaumes. Ces offices sont des louanges chantées de la Vierge et du Christ. Les plus importants sont ceux du matin et du soir. Cette partie du livre d’Heures est généralement la plus abondamment illustrée, par un cycle consacré à l’Enfance du Christ : l’Annonciation (matines), la Visitation (laudes), la Nativité (prime), l’Annonce aux bergers (tierce), l’Adoration des Mages (sexte), la Présentation au Temple (none), la Fuite en Egypte ou le Massacre des Innocents (vêpres), le Couronnement de la Vierge (complies). Le cycle peint peut aussi intégrer d’autres épisodes de la vie de la Vierge (Enfance, Mariage, Crucifixion, Pentecôte, Dormition, etc.).
Le psautier du livre d’Heures contient sept supplications (psaumes 6, 31, 37, 50, 101, 129) et généralement une miniature, celle du roi David en prière, sa harpe posée près de lui. Cette image fait référence à David auteur des psaumes, inspiré par sa foi.
Les litanies sont des prières adressées, par ordre de préséance, à la Trinité, à la Vierge, aux archanges, à saint Jean-Baptiste, aux apôtres, aux saints du calendrier universel et aux saints locaux. Elles peuvent être accompagnées de miniatures représentant les personnages saints invoqués.
L’office des morts se compose de prières pour le salut de l’âme, destinées à être lues en priorité aux veillées funèbres. Mais, elles peuvent aussi être récitées par le propriétaire du livre, hors de tout contexte funéraire, pour son propre salut. Elles participent alors de préoccupations grandissantes à la fin du Moyen Âge pour l’art de bien mourir. Les thèmes iconographiques les plus fréquemment représentés dans les miniatures qui accompagnent l’office des morts sont les inhumations, les cimetières, la Mort, le Dit des trois morts et des trois vifs, Job sur son tas de fumier et la résurrection de Lazare.
Ces textes essentiels sont parfois accompagnés de textes secondaires (extraits des Evangiles, Heures de la Croix et du Saint Esprit, prières à la Vierge, invocations adressées aux saints) et de textes accessoires (extraits de la Passion selon saint Jean, les Quinze joies de la Vierge, diverses prières). Le choix de leur présence revient à l’exigence et aux sensibilités des commanditaires.
La philosophique médiévale a d’abord reposé sur l’étude des textes des autorités de l’Antiquité classique et des auteurs paléochrétiens. Ces œuvres étaient parvenues dans des traductions gréco-latines et arabo-latines. Outre l’étude stricte de ces sources de la tradition gréco-latine et leur transmission par l’enseignement, la philosophie médiévale se constitua aussi par l’établissement de commentaires de cette pensée.
L’œuvre d’Aristote constitue le cœur du corpus de la philosophie grecque transmise au Moyen Âge. La connaissance de son intégralité fut tardive ; jusqu’au milieu du XIIe siècle, on ne connaissait qu’une partie infime de l’œuvre logique (logica vetus : Catégories, De interpretatione, Isagoge de Porphyre, des parties de l’Organon). A la fin du XIIe siècle, de nouveaux éléments furent connus des philosophes occidentaux, qui vinrent compléter l’œuvre logique (logica nova). Rapidement, dès le début du XIIIe siècle, d’autres pans fondamentaux de la pensée aristotélicienne (la Physica, De anima, De Caelo, la Metaphysica, l’Ethique à Nicomaque) se firent jour dans des versions plus ou moins complètes et souvent discordantes. Ces textes parvinrent dans des traductions gréco-latines et arabo-latines. Aux textes anciens, s’ajoutait un corpus important d’écrits apocryphes.
Hormis Aristote, la philosophie antique est largement méconnue au Moyen Âge. Elle est, en outre, accessible essentiellement qu’au travers de sources intermédiaires. Le néoplatonisme n’est accessible qu’à partir du XIIIe siècle, dans des traductions latines de Proclus. Les trois grandes figures qui dominent le néoplatonisme chrétien sont saint Augustin, Boèce et Denys le pseudo-Aréopagite. La christianisation de la pensée gréco-latine passe également par l’intégration et la transmission de sa littérature didactique. Dans cette production qui vise à instruire, les arts libéraux tiennent une place primordiale et font autorité jusqu’à la fin du XIIe siècle. Il s’agit d’un groupe rassemblant les disciplines intellectuelles réputées fondamentales et réparties en deux sous-groupes : le trivium, qui regroupe les disciplines associées à l’art oratoire (grammaire, dialectique et rhétorique), le quadrivium, qui associe les disciplines mathématiques (arithmétique, musique, géométrie, astronomie). Ce programme avait survécu par l’intermédiaire du rhéteur Martianus Capella, au Ve siècle, dans ses Noces de Mercure et de la Philologie.
La philosophie médiévale doit probablement autant aux pensées arabe et juive qu’à la tradition gréco-latine. Jusqu’au XIIIe siècle, elles fournirent à la philosophie occidentale des matériaux, des thèmes et des doctrines qui la renouvelèrent et la firent progresser.
La philosophie médiévale juive a rayonné sur le monde latin. Mais, les savants juifs ont aussi assuré, à travers l’Espagne, la première transition de la science aristotélicienne du monde islamique au monde chrétien. La tradition des écrits d’Aristote s’était perpétuée en Syrie et en Irak jusqu’au XIIe siècle, leur conservation ayant été assurée par le passage à l’arabe. Les grands penseurs médiévaux de l’Islam étaient ainsi devenus les mentors des chrétiens d’Occident. Avicenne (980-1037), Algazel (1058-1111) et Averroès (1126-1198) comptent parmi les principaux d’entre eux.
Averroès est ainsi réputé dès le Moyen Âge comme étant le grand interprète d’Aristote, son commentaire essentiel. Le corpus aristotélicien est, en effet, parvenu à l’Occident chrétien par le biais de sources transcrites en arabe et plus largement par des commentaires de ces sources. Des Commentaires (Petits, Moyens et Grands) rédigés par Averroès, tous n’ont pas été traduits en latin, mais l’essentiel en est parvenu. Les Grands Commentaires comptent parmi les textes les plus importants du Moyen Âge, qui furent les fondements de l’aristotélisme scolastique. Ils concernent les œuvres de logique, la Physique, De Caelo, De anima, la Métaphysique.
Les principaux témoins de la christianisation de la didactique romaine sont les Institutiones saecularium litterarum de Cassiodore (v. 490-583) et les Etymologies d’Isidore de Séville (v. 560-636). Les premières constituent une encyclopédie du savoir profane, destinées à l’éducation monastique. Les secondes forment une somme du savoir antique qui servit de modèle à une abondante littérature encyclopédique jusqu’au XIIIe siècle, notamment le De Proprietatibus Rerum de Barthélemy l’Anglais et les Descriptions du monde d’Honorius d’Autun. Ces nouvelles sommes des connaissances humaines constituent essentiellement des compilations dérivant, en plus ou moins grandes proportions, des encyclopédies antérieures.
L’histoire de la pensée médiévale est intimement liée à celle des institutions scolaires. Jusqu’au XIe siècle, le lieu privilégié de l’épanouissement de la vie intellectuelle avait été l’école monastique. Puis, au XIIe siècle, l’essor urbain s’accompagna de la création des écoles capitulaires et épiscopales, ouvertes à de nouvelles classes de clercs et centrées plus particulièrement sur les arts du langage, héritiers du trivium romain (dialectique, grammaire, rhétorique). L’université naquit du regroupement de cet auditoire urbain autour de grands maîtres.
L’université médiévale est organisée en « nations », regroupées en quatre facultés : les arts, la médecine, le droit et la théologie. La faculté des arts est l’héritière des écoles de dialectique du XIIe siècle. On y enseigne le trivium et plus particulièrement la logique. À mesure que le corpus aristotélicien complet pénètre en Occident, on l’intègre à l’enseignement. À Paris, la faculté des arts est subordonnée à celle de théologie. Dans les deux, le principe éducatif est similaire, faisant passer l’étudiant de l’état d’auditeur à celui de participant : écoute du maître, étude des textes et des commentaires, écoute des disputes et participation aux actes solennels de l’université, participation aux disputes, participation à l’enseignement.
Le développement des écoles et des universités dans les villes, aux XIIe et surtout à partir du XIIIe siècle, ont incité les libraires à produire des instruments de travail adaptés aux besoins des maîtres et de leurs étudiants, à savoir des manuscrits peu coûteux, maniables, transportables et traitant de sujets et d’auteurs variés, selon les facultés à proximité (arts, médecine, droit, théologie). Les bibliothèques des monastères avaient conservé et transmis nombre de textes classiques, écrits par des auteurs de l’Antiquité, philosophes, rhéteurs, historiens, savants de tous ordres (Aristote, Cicéron, Virgile, Horace…).
Certains textes font autorité selon les disciplines enseignées dans les facultés. Les étudiants des facultés d’arts se consacrent à Aristote, ceux de médecine à Hippocrate et à Galien. Les ouvrages fondamentaux des étudiants de théologie sont la Bible et les Sentences de Pierre Lombard pour l’essentiel. Les étudiants se destinant à l’exercice du droit canon doivent étudier notamment le Décret de Gratien, tandis que ceux travaillant sur le droit civil doivent se pencher sur le Code de Justinien, entre autres choses.
L’enseignement médiéval est fondé sur l’étude des autorités et sur leur commentaire. Jusqu’au milieu du XIIe siècle, la lecture d’un texte est, pour l’essentiel, une glose, autrement dit un commentaire littéral qui suit un programme de lecture imposé au texte. Dans la seconde moitié du XIIe siècle et jusque vers 1230, inspirée d’Avicenne, la forme dominante du commentaire est la paraphrase, dans laquelle le texte source se fond dans son exposé suivi. Puis, dans la tradition d’Averroès, les commentaires littéraux supplantent la paraphrase, avant de laisser la place eux-mêmes au commentaire questionné (recueil de questions librement développées à partir du texte), au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle. Ainsi, on perçoit une prise de liberté progressive des penseurs du Moyen Âge vis-à-vis des autorités antiques, une autonomie croissante de la pensée médiévale par rapport aux sources.
Les Sentences de Pierre Lombard, rédigées probablement au milieu du XIIe siècle, témoignent de ce questionnement des sources. Compilation de textes patristiques, parmi lesquels ceux d’Augustin tiennent une place privilégiée, ces quatre livres mettent en scène, les tensions, les différences de point de vue apparentes entre ces autorités, avant de les réconcilier. Les Sentences connurent une grande popularité. Dès les années 1160, elles furent même glosées à leur tour, puis soumises au questionnement qui fit leur succès.
L’alchimie est la discipline qui recouvre l’ensemble des questions liées aux mutations des corps naturels. L’alliage des métaux et la transmutation des métaux vils en métaux précieux sont certainement les plus célèbres de ces questions, mais l’alchimie traite également par exemple de la fabrication des remèdes. À la fin du XIIIe siècle, le médecin Arnaud de Villeneuve unit dans un même ouvrage (le Rosaire) la médecine et l’alchimie, l’étude des corps vivants et celle des matières inertes. À côté d’autres pratiques, l’alchimie est perçue comme une étude fondamentale de l’univers, comme une science purement philosophique, propre à enrichir chacun sur les réflexions de son art.
C’est ainsi que, depuis le XIIe siècle, les philosophes eux-mêmes comptent parmi les alchimistes, dans le sens où ils étudient les structures profondes de la nature. La théorie d’Aristote des quatre éléments influence elle-même profondément l’alchimie : si tout corps est composé de terre, d’eau, d’air et de feu, alors il n’est que de modifier leu combinaison pour changer la nature des corps.
Les théologiens aussi s’intéressent à l’alchimie. Albert le Grand estime que l’on doit pouvoir produire des métaux artificiels presque semblables aux métaux naturels. Thomas d’Aquin tient l’alchimie pour un art raisonnable et difficile.
Les alchimistes de la fin du Moyen Âge ont compilé les travaux de leurs prédécesseurs qui constituent les fondements de leurs réflexions. C’est alors qu’ils se sont souvent focalisés sur la recherche de la pierre philosophale et ont introduit la pratique de formules cabalistiques et d’un vocabulaire crypté. Le but recherché semble avoir été d’exclure les non initiés de la pratique de cette science. La recherche de la pierre philosophale et plus largement de la transmutation des métaux vils en métaux précieux, est déjà connue au VIIIe siècle à Bagdad. Mais, les démonstrations d’Avicenne qui en expliquaient l’impossibilité n’ont pas découragé les alchimistes de la fin du Moyen Âge. Le contexte économique les encourageait au contraire à pousser plus avant leurs investigations, alors même que les ressources disponibles en métaux précieux en Europe semblaient insuffisantes pour répondre aux besoins de l’économie.
Les mathématiques constituent la science de l’ordre du monde, un moyen d’en proposer des explications. Jusqu’au milieu du XIIe siècle, leur enseignement passe par le quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) et la référence à certaines autorités : les traités de Boèce (VIe s.), les Institutions de Cassiodore (VIe s.), les Etymologies d’Isidore de Séville (VIIe s.). Dans la seconde moitié du XIIe siècle, la découverte de l’essentiel de la tradition scientifique antique grecque bouleverse cette situation. Désormais, la pensée d’Aristote constitue un véritable moteur influençant une nouvelle appréhension du monde. Elle s’établit sur la logique, la théorie scientifique, la pratique et la mécanique, aux dépens de la tradition du trivium romain.
Une science profane se constitue dès lors, qui ne se contente plus désormais de commenter les autorités mais confère de l’importance à l’observation et à l’expérience. Au sein de cette science mathématique, l’astronomie tient une place importante, mais d’autres disciplines se développent profitant d’un essor économique et commercial autant que des apports théoriques de l’Orient. L’introduction de la numération arabe en Europe, dont il faut attribuer la diffusion à Gerbert d’Aurillac (940-1003), et l’utilisation du zéro ont été des apports capitaux dans l’histoire du calcul. Mais, par ailleurs, les échanges commerciaux avec l’Orient ont facilité la familiarisation de l’Occident avec les applications techniques, les enjeux pratiques des mathématiques.
Les mathématiques occupent une place prépondérante dans les universités italiennes, en comparaison de ce que l’on peut observer dans les universités françaises. Depuis le XIIIe siècle, les savants s’y préoccupent plus spécifiquement de la résolution des équations. S’inspirant d’Euclide et d’Héron d’Alexandrie notamment, Fibonacci, dans son Liber abaci (1202), traite de la résolution d’équations du second degré, d’équations indéterminées, de calculs avec des radicaux… Il y traite aussi de problèmes pratiques, d’applications financières et commerciales des mathématiques. Au cours du temps, ces visées pratiques de la maîtrise des mathématiques s’accroissent et dominent, aux dépens des vues théoriques du quadrivium. Les marchands italiens se forment ainsi à l’arithmétique et à la géométrie.
Cependant, la diffusion de la culture mathématique trouvera, à terme, d’autres applications pratiques, aux résonnances plus humanistes. En témoigne, dans notre catalogue, le Traité de la perspective en peinture de Piero della Francesca, l’un des nombreux traités faisant état des réflexions de la Renaissance sur une nouvelle appréhension du monde, au centre duquel figure l’homme.
L’astrologie tient une part essentielle dans la vie et le comportement des hommes du Moyen Âge. Née en Mésopotamie vers le XVIIIe siècle avant notre ère, elle fut transmise au Moyen Âge par des traités hérités de l’Antiquité gréco-latine, puis par de nombreux ouvrages arabes et juifs à partir du XIIe siècle. Ces sources sont à l’origine des interprétations du ciel et des relations établies entre les astres et les membres et organes du corps humain.
L’astrologie triomphe au XIVe siècle. À partir de Charles V, tous les princes s’entourent d’astrologues. Des échoppes d’astrologues s’établissent dans les villes. L’influence des astres prend une part primordiale dans la prise de décision quotidienne d’actes importants (négociations, interventions médicales et chirurgicales, etc.).
Les travaux des astronomes grecs et arabes sont connus des savants occidentaux dès le Xe siècle, en grande partie grâce à traductions procurées par les milieux juifs et judéo-chrétiens d’Espagne. Pourtant, en France, l’astronomie médiévale prend son réel essor au XIVe siècle seulement.
Les instruments des astronomes permettent alors de préciser les mesures d’angles et de consigner es mouvements des planètes. Ainsi, les astronomes parisiens établissent alors les tables « alphonsines », qui précisent le mouvement et la position de la Lune des étoiles et des planètes. Vers 1315, ils proposent des corrections au calendrier Julien et une détermination plus précise des lunaisons de printemps (essentielles pour déterminer la date de Pâques).
Le Moyen Âge associe souvent, sous le terme de « cosmographie » ou sous l’appellation « d’image du monde », l’astronomie et la géographie. Beaucoup d’ouvrages de vulgarisation et de manuels sont inspirés de traités et de descriptions géographiques, telles celles d’Honorius d’Autun.
Le chirurgien médiéval est un barbier plus ou moins spécialisé dans les interventions manuelles que le médecin n’a pas le droit de pratiquer : pansements, saignées, incisions, ablations. On a recours à lui quotidiennement pour le traitement des plaies, tumeurs et autres ulcères, des luxations et des fractures. Il opère avec la lancette, le fer rouge, la canule et le drain.
Technicien de la médecine, le chirurgien est un praticien populaire, qui parvient à soulager efficacement et à moindre coût. Cette situation favorable lui vaut d’être ostracisé par le corps médical, pour qui cet art inférieur ne peut intégrer l’Université.
À partir du XIIIe siècle, la spécialisation des chirurgiens vis-à-vis des simples barbiers se fait plus marquante. Au XIVe siècle, ils sont en capacité d’enlever les polypes des fosses nasales, ils savent suturer les tendons, opérer les fistules et trépaner. Tant et si bien qu’à partir de 1436, l’accès à l’université leur est concédé.
Plusieurs traités portent strictement sur la chirurgie. La production manuscrite comprend également quelques ouvrages pratiques et d’autres portant sur l’hygiène et sur des recettes pharmaceutiques.
Son enseignement est particulièrement réputé Salerne et à Montpellier, dès le XIIe siècle. Arnaud de Villeneuve, médecin des papes Boniface VIII, Benoît XI et Clément V, y enseigne à la fin du XIIIe siècle ; il y compose son Miroir des introductions médicinales, qui emprunte beaucoup aux médecines grecque et arabe. L’enseignement de la médecine repose sur l’autorité d’Hippocrate et de Galien (anatomie). Beaucoup de traités en constituent le commentaire ou l’adaptation. Avicenne est également commenté.
Bien que l’exercice de la médecine repose sur l’obtention préalable de diplômes universitaires dans la discipline, beaucoup de médecins exercent après quelques années d’études seulement. Considéré comme clerc, le médecin est astreint au célibat, jusqu’au XVe siècle. Dans la pratique, il consulte, examine les urines, juge de l’état des humeurs (sang, mucosités et bile). Il s’assure couramment de l’état du ciel, de la lune et du zodiaque, chaque signe étant lié à une partie du corps (Lion au cœur, Bélier à la tête…). Il touche seulement le malade pour lui prendre le pouls. Partant, il prescrit soins (essentiellement à caractère diététique) et médicaments, qu’il procure aux malades, se fournissant lui-même chez l’apothicaire. La médecine médiévale ignore tout du rôle du cœur et de la circulation sanguine.
Les malades appartenant aux couches supérieures de la société font plus souvent appel aux médecins, dont ils apprécient les compétences en astrologie. Les malades du peuple, quant à eux, vont plus volontiers consulter le chirurgien que le médecin, pour être soulagé immédiatement par une saignée ou une purge. Ils se rendent chez l’épicier et l’apothicaire pour se fournir en remèdes et drogues usuelles ; les médicaments sont généralement composés de plantes et leur administration repose, contrairement au régime alimentaire prescrit pour une personne saine, sur une opposition du médicament avec l’humeur.
L’alimentation quotidienne recommandée aux individus sains vise à maintenir équilibré leur tempérament, leurs humeurs (sanguin, colérique, mélancolique, flegmatique). Aux sanguins conviennent les aliments chauds et humides (pain de froment, volaille, vin pur…), aux mélancoliques les fèves et la viande de porc. Les saisons influent sur ce système de correspondances : les épices très vivement échauffantes sont à proscrire en été. L’âge du patient est un autre facteur à prendre en compte, la chaleur vitale déclinant au fil de la vieillesse, de même que la préparation des aliments : le gibier d’eau, humide et froid comme l’eau où il vit, est asséché si on le fait rôtir et qu’on l’accompagne d’épices chaudes et sèches.
La musique et le chant sont des combinaisons de sons agencés selon des codes culturels. Ils sont produits les uns par des instruments, les autres par la voix. Au Moyen Âge, ces deux disciplines appartiennent au domaine de la Musique, lui-même composé de trois ordres hiérarchisés : la musique instrumentale, la musique vocale (harmonie du corps et de l’esprit de l’homme) et la musique céleste (harmonie du monde).
Depuis le Ve siècle, la Musique est l’un des sept Arts libéraux définis par Martianus Capella, dans ses Noces de Mercure et de la Philologie. Avec la Géométrie, l’Arithmétique et l’Astronomie, la Musique forme le quadrivium, ensemble des disciplines vouées à l’étude des nombres, des proportions et du calcul. Le trivium, quant à lui, est formé par la Grammaire, la Logique et la Rhétorique. Les Arts Libéraux constituaient en quelque sorte les disciplines indispensables à l’acquisition de la haute culture.
D’autres pratiques sonores du quotidien, qui ne relèvent ni du chant ni de la musique, apparaissent aussi dans les miniatures. Il s’agit des productions de sons destinés à alerter (guet, épidémies), à informer (chasse, guerre), à marquer le temps (cloches), etc. Les cris et les instruments à vent (trompes, trompettes, cors, cornets) et à percussion (cloches) sont les outils privilégiés et représentatifs de ces activités et fonctions.
La musique et le chant, à proprement parler, sont révélés par des manuscrits de deux types : ceux au sein desquels un thème iconographique induit la représentation de musiciens et ceux dont la fonction est de servir de support au chant. Dans le premier cas, pour notre catalogue, l’iconographie religieuse l’emporte en nombre par les représentations de musique instrumentale.
Le plus fréquemment, il s’agit de représentations d’un ou de plusieurs anges célébrant Dieu le Père ou la Vierge et l’Enfant. Dans ce contexte, la cour céleste est pourvue d’instruments à cordes (harpe, vièle, psaltérion) ; ailleurs, les anges peuvent avoir recours à d’autres types d’instruments, y compris des instruments à vent. Les chœurs d’anges, figurent aussi dans des formations serrées, qui encadrent les figures divines.
Depuis l’Antiquité, on distingue trois grandes familles d’instruments de musique : cordes, vents et percussions (instruments pourvus d’une membrane et instruments résonnant par eux-mêmes). Les théoriciens du Moyen Âge déconsidèrent l’emploi des instruments dans la pratique musicale, plaçant la musique instrumentale à un rang inférieur à la musique vocale, elle-même inférieure à la musique céleste.
Toutefois, le double héritage de la culture antique et de la Bible, au sein de laquelle figurent d’éminents musiciens, à l’image du roi David, infléchit cette posture, au profit des instruments à cordes. Déjà, la mythologie s’était emparée du thème de la hiérarchie des instruments au travers, par exemple, du combat qui opposa Apollon à Marsyas. Dès lors, les cordes devinrent symboliques de l’harmonie, de l’élévation de l’esprit, de l’intelligence, de la mesure, tandis que les vents symbolisèrent la dimension physique de l’homme, sa sexualité, ses pulsions.
La fonction rythmique des percussions, les place également à un rang inférieur. Quelques exceptions dérogent à ce classement, à l’instar des trompes, de l’orgue et des cloches, dès lors que l’Eglise en a recours pour la liturgie, comme outil théorique ou lorsque l’un de ces instruments incarne l’intervention divine, la parole de Dieu.
Seuls les instruments à vent et les cordes sont représentés dans notre catalogue et l’iconographie du roi psalmiste David y tient une place importante. La harpe lui est fortement associée. L’iconographie privilégie la harpe à colonne, variante de la harpe traditionnelle irlandaise, attestée dès le VIIIe siècle. Ses cordes étaient métalliques, tandis que la tradition méditerranéenne employait des cordes en boyau.
La harpe est à rapprocher du psaltérion. Cet instrument de la famille des cithares produit des sons tenus qui le rendent approprié pour l’accompagnement de la lecture des psaumes. En ce sens, au Moyen Âge, il est très fortement attaché au psautier. Dans l’iconographie, on l’associe ainsi souvent avec David. De forme triangulaire, rectangulaire ou trapézoïdale, il aboutit à de nombreux dérivés dont une harpe-psaltérion ou harpe hybride.
Dès le IVe siècle avant notre ère, les Grecs se préoccupent de noter les hauteurs de sons. Pour autant, c’est assez tardivement qu’est apparue la nécessité pour l’Eglise d’Occident de noter la musique ou plus exactement le chant liturgique, seule expression musicale savante pendant une grande partie du Moyen Âge. La notation de la voix chantée, dite neumatique, fut inventée au IXe siècle, dans le contexte de réforme et d’unification de l’Eglise, impulsées par Charlemagne. Instrument de propagation de la foi, transmis oralement jusqu’alors, le chant allait désormais pouvoir s’adosser à une notation écrite pour assurer sa diffusion et reproduire sans défaillance une liturgie précise.
Mais, la notation et l’établissement de ses principes fondamentaux furent aussi l’occasion pour les moines bénédictins d’intenses réflexions théoriques, fondées sur celles des Pères de l’Eglise, elles-mêmes héritières des travaux entrepris dans l’Antiquité. Les principes d’ordre, de nombre et de mesure y présidèrent, de même que la volonté de donner la primauté au sens des textes religieux sur l’expression musicale à proprement parler ; en d’autres termes, la musique devait servir le texte, la forme éclairer le fond.
Les neumes primitifs figurent donc comme un simple accompagnement du texte, généralement placés sous ce dernier. Il s’agit d’abord d’une sorte d’aide-mémoire composé uniquement d’accents graves et aigus, précisant les inflexions de la voix : l’accent aigu indique une note élevée, l’accent grave une note basse. Les neumes sont écrits d’un mouvement de plume qui suit donc le mouvement de la voix et figure les mouvements de main du maître de chant (chironomie). Avec le temps, les accents se muent en points et en bâtonnets.
Puis, le système se perfectionne avec la création des ligatures. Ces regroupements de neumes, rendent compte graphiquement les groupes de sons successifs des modulations du plain-chant. Apparaissent également des lettres adjointes aux neumes, dans le but de préciser les hauteurs, tandis que d’autres lettres, suscrites, indiquent les variations rythmiques. De ces signes, qui s’homogénéisent et se stabilisent au cours des siècles, émerge la notation classique, qui s’émancipe de la tradition orale et rend le chanteur autonome, libéré de l’aide d’un maître.
Au XIIe siècle, la plume d’oie remplace le roseau taillé et son usage transforme les neumes en des carrés noirs. À la fin du Moyen Âge, à partir du XVe siècle, la généralisation de l’usage du papier aux dépens de celui du parchemin, entraîne une transformation graphique de la notation. Les notes noires et compactes, dont l’encre traverse facilement la feuille, s’évident pour devenir des losanges blancs. Enfin, l’imprimerie favorise la diffusion de la notation ronde que nous connaissons de nos jours.
D’un point de vue technique, l’invention de la ligne, au Xe siècle, fut une avancée fondamentale. Constituant un axe horizontal portant la musique, elle soumet désormais le texte au temps linéaire. Les lignes ne cesseront dès lors de s’étager au gré des besoins de désignation visuelle des hauteurs sonores : les notes y prennent place de façon à figurer précisément leur hauteur. La portée de cinq lignes que nous connaissons aujourd’hui s’imposera seulement à l’époque moderne.
Au Moyen Âge, la notation de la musique instrumentale reprend la forme dévolue au chant. Dans un concert instrumental, les instruments jouent presque toujours une fidèle transcription de la musique vocale. C’est seulement à partir du XVe siècle que l’instrument s’émancipe du seul rôle d’accompagnement pour s’emparer de celui de soliste. Dès lors, naît et se développe la tablature, notation propre à toutes sortes d’instruments pouvant faire entendre simultanément plusieurs sons : luth, guitare, cistre, orgue, clavecin…
Il s’agit d’une notation « directe » qui indique au musicien où placer ses doigts sur le manche de l’instrument. Elle comprend cinq ou six lignes représentant chacune une corde de l’instrument ; la ligne inférieure correspond à la corde la plus grave. Sur ces systèmes de lignes, des figures, des lettres et des chiffres donnent des indications précises sur l’emplacement où doit être posé chaque doigt sur chaque corde.
Les manuscrits médiévaux fourmillent de miniatures qui permettent de découvrir l’univers vestimentaire des hommes, des femmes et des enfants de cette époque. Toutefois, nombre d’entre elles ne témoignent pas de la réalité des costumes du Moyen Âge, mais font appel à des modèles stéréotypés, quand il s’agit, par exemple, de représenter « l’étranger ». C’est ainsi que « l’africain » figurant au F°40v du livre III des Devoirs de Cicéron (Ms 0991 Bordeaux, XVe siècle), est représenté barbu, coiffé d’un turban et portant une cape par dessus une longue tunique, qui laisse entrevoir la garde d’un sabre. Cette même iconographie empreinte d’exotisme est largement employée pour représenter les Mages de l’Adoration ou saint Joseph et plus généralement « l’oriental », c’est-à-dire l’homme de l’Afrique ou du Proche-Orient.
D’autres miniatures font preuve d’anachronismes, mêlant des personnages vêtus à l’antique et d’autres vêtus à la mode du temps. C’est le cas par exemple lorsque le commanditaire d’un manuscrit est représenté au sein d’un épisode biblique, à l’instar de Philippe de Lévis qui figure en orant au pied de la Croix au F°5 d’un Pontifical à son usage, daté du XVIe siècle (Ms 1859 Bordeaux). Dans cette illustration, l’ancien évêque de Bayonne arbore un habit d’apparat richement orné (mitre et chape aux ornements d’or), caractéristique de ceux de son temps, tandis que la Vierge et saint Jean, de façon traditionnelle, sont vêtus à l’antique (tunique et manteau). On les trouve également représentés ainsi, par exemple, au troisième quart du XIIIe siècle dans des Concordances de la Bible (Ms 0013 Bordeaux F°1r).
Ces habits « à l’antique » sont inspirés de ceux portés dans l’Antiquité gréco-romaine et dont l’image plus ou moins stéréotypée s’était transmise jusqu’au Moyen Âge et par lui à la Renaissance, qui en fit grand usage dans ses œuvres ; on en trouve un bel exemple dans la représentation de Dieu créant Eve, qui figure au F°31 d’un manuscrit du troisième quart du XIIe siècle (Ms 0112 Bordeaux). Mais, si la tunique ou la robe portées sous un large manteau sont caractéristiques du monde gréco-romain, d’autres formules inspirées de la tradition byzantine se sont diffusées à partir du XIe siècle en Occident. La tenue d’Esther, au F°322 de la Bible de la Sauve-Majeure (Ms 0001-2 Bordeaux), manuscrit normand du dernier quart du XIe siècle, illustre cette filiation. Le galon inférieur du manteau et la couronne sont ornés des mêmes perles et ornements que ceux connus dans les images italo-byzantines.
Au F°260 de la Bible de la Sauve-Majeure (Ms 0001-2 Bordeaux, dernier quart du XIe siècle), l’image de saint Jérôme témoigne de la réalité du costume sacerdotal en Occident jusqu’à cette époque. Le Père de l’Eglise est ici vêtu d’une aube, d’une dalmatique, d’une étole et d’une chasuble ovale. Vêtement de dessus porté à l’origine par les laïcs, la chasuble avait intégré le costume religieux dès le VIe siècle. La dalmatique est une sorte de longue tunique ; initialement commune aux deux sexes et appartenant aux habits civils, elle était devenue depuis le VIIe siècle le vêtement réservé aux diacres et sous-diacres, avant de devenir également une pièce de l’habillement des évêques.
Du moins, cette image nous montre-t-elle ce que l’Eglise reconnaît alors comme étant le vêtement sacerdotal, mais on sait qu’au XIIe siècle les vêtements du clergé ne diffèrent guère des habits longs que portent les laïcs de condition comparable. Il semble fréquent, par ailleurs, que des clercs se comportent et s’habillent alors comme des laïcs. Ces abus vestimentaires sont connus par les règlements et les réprobations qui se multiplient à l’époque contre les clercs ; on leur reproche de se conduire et de se vêtir comme des guerriers et de développer et mettre en œuvre un goût du luxe prononcé.
Le phénomène est suffisamment important pour justifier une réaction de l’Eglise. Fondant son argumentation sur la tradition et la morale, elle développe au cours du XIIe siècle une législation visant à réduire les excentricités vestimentaires de ses membres, en stigmatisant principalement l’usage de riches étoffes et l’emploi de couleurs voyantes. Ces mesures réglementaires touchant au costume permettent aussi à l’Eglise de renforcer la visibilité de sa hiérarchie interne et l’expression du pouvoir en son sein.
Des moines aux évêques, nul n’est épargné par les vigoureuses remontrances de saint Bernard (1090 ?-1153) et les références de Gratien (11 ?-1160 ?) au droit canonique (Ms 0171 Bordeaux, Ms 0397 Bordeaux, fragment Ms 0037, Bordeaux). Mais, malgré l’instauration de sanctions contre les contrevenants, les mauvaises pratiques persistent.
Motivés par la décrétale du pape Grégoire VIII, à partir de 1187 et jusqu’en 1220, se multiplient synodes, conciles et de nombreuses prescriptions visant à préciser les règles générales de la discipline vestimentaire des clercs. Désormais, de façon générale, ces derniers doivent porter des habits fermés et longs et leur sont interdites les étoffes rouges ou vertes, alors jugées luxueuses du fait du coût de leur teinture. Ces caractéristiques générales n’évolueront guère jusqu’à la Renaissance. Mais, au-delà de ces règles et de leur relatif respect dans le cadre strict de la liturgie, il semble que dès le XIIIe siècle le souci de l’apparence et du raffinement ait continué de guider la confection de nombre d’habits cléricaux, par l’emploi de riches étoffes et la multiplication des ornements.
Fixé dans ses formes et ses fonctions, le costume liturgique comprend l’aube (long vêtement blanc de dessous), la dalmatique (vêtement long, orné de bandes verticales et d’un galon brodé et dont les manches s’allongent au XIVe siècle) et la chasuble de forme ovale. La chape (manteau), généralement richement ornée, complète le costume des dignitaires (Ms 1859 Bordeaux, F°5, XVIe siècle). Divers accessoires (gants, chaussures, anneau, crosse, tau, manipule, coiffes, etc.) accompagnent ces habits (Marcadé 102). Certains participent à la liturgie tandis que d’autres sont les attributs de certaines fonctions, d’un pouvoir particulier, d’une place précise au sein de la hiérarchie de l’Eglise. Il est difficile de suivre l’évolution précise des innombrables sophistications des accessoires du costume liturgique et ces éléments sont trop nombreux pour être détaillés ici, mais de nombreuses initiales du Pontifical à l’usage de Périgueux (Ms 0171 Périgueux) illustrent parfaitement cette variété ainsi que les usages vestimentaires pendant la seconde moitié du XVe siècle.
Toutefois, par certains détails, de couleur ou de forme par exemple, ces accessoires témoignent d’une évolution générale du costume du clergé séculier. À ce titre la mitre est particulièrement intéressante. En effet, cette coiffe se transforme totalement au cours du temps, tant dans sa forme que dans la façon de s’en coiffer. Tout d’abord portée indifféremment par les abbés et les évêques, mais aussi par le pape et les cardinaux jusqu’au début du XIIIe siècle, elle devient ensuite plus spécifiquement l’insigne de la dignité épiscopale. Elle n’est pas un accessoire liturgique mais uniquement un symbole de pouvoir, qu’évêques et archevêques portent au cours de leurs interventions, essentiellement dans le monde laïc.
Les mitres à pointes latérales apparaissent vers 1140 et sont attestées jusqu’à la fin du siècle, même si leur emploi semble diminuer à partir de 1175. Encore employées dans les premières années du XIIIe siècle, surtout dans le Midi de la France, elles sont remplacées vers 1225 par la mitre triangulaire classique, dont les pointes (faces) sont placées au-dessus du front et de la nuque. Plusieurs types de mitres triangulaires voient alors le jour et leur emploi varie selon les images qui y sont brodées. Au XIIIe siècle, les faces sont encore relativement droites, peu hautes et triangulaires (Ms 0025 Bordeaux, F°1r, premier quart du XIVe siècle). Au XIVe siècle, les faces ont tendance à devenir plus hautes et à se bomber en s’écartant l’une de l’autre (Ms 0730 Bordeaux, F°192, dernier quart du XIVe siècle). Au XVe et au début du siècle suivant, hautes et bombées, elles prennent une forme pentagonale et leurs sommets ont tendance à se réunir, joints par un bouton d’orfèvrerie (Imp 0509 Pau, F22v, XVIe siècle ; Marcadé 102, XVIe siècle).
Au début du XVe siècle, dans certaines cours, le luxe des vêtements civils s’étend aux ornements liturgiques et particulièrement aux mitres. Dans une richesse extraordinaire, perles et pierres précieuses sont employées à profusion pour l’ornement, mais aussi pour rehausser l’iconographie des mitres historiées.
Les nombreux ordres monastiques créés à mesure de la propagation du christianisme ont adopté des règles différentes, imposant à leurs membres une vie et des habits propres à leur ordre. Les bénédictins portent à même la peau une tunique à longues manches (la gonelle), sous une longue robe fendue sur le côté (le froc ou scapulaire) et enfin la chape (Marcadé 83, deuxième quart du XVe siècle). Les cisterciens portent, quant à eux, une robe blanche à larges manches et capuchon (la coule) et le froc pour les travaux ; leurs vêtements ne sont pas teints.
Parmi les ordres mendiants, les franciscains (frères mineurs, cordeliers) se reconnaissent à leur cotte brune ou grise à capuchon, serrée à la taille par une corde (Ms 0025 Bordeaux, F°1r, premier quart du XIVe siècle), tandis que, sous leur chape noire, les dominicains (frères prêcheurs) superposent deux robes de laine blanche.
Les couleurs de l’habit des religieuses rejoignent celles des hommes du même ordre. L’habit féminin se compose de deux tuniques longues et d’une chape. La coiffure est dissimulée sous un voile ou sous un couvre-chef enroulé autour de la tête et retombant sur le cou et la poitrine (la guimpe) (Marcadé 94b, vers 1500).
Le costume civil du personnage accompagnant saint Jérôme au F°260 de la Bible de la Sauve-Majeure (Ms 0001-2 Bordeaux, dernier quart du XIe siècle), est caractéristique du costume civil masculin depuis l’époque mérovingienne et jusque vers 1140. Il s’agit d’une tunique mi longue à jupe ample (le bliaud), portée sur un caleçon long (les braies) et complétée par un manteau.
Puis, à partir du milieu du XIIe siècle, les habits longs, jusqu’ici réservés à la cour royale et aux personnes aisées, s’étendirent à l’ensemble de la population laïque. Le Livre des statuts et des coutumes de la ville d’Agen (Ms 0042 Agen, troisième quart du XIIIe siècle) illustre parfaitement ce phénomène mais aussi la simplicité et la sobriété, malgré des couleurs souvent vives, qui caractérisent le costume au XIIIe siècle.
La différenciation entre les sexes est peu flagrante, seulement signalée par la longueur de l’habit féminin, plus importante que chez l’homme. Hommes et femmes portent la cotte, longue tunique aux manches très étroites, passée sur la chemise de dessus. Le surcot, plus ample, se porte sur la cotte. Ses larges emmanchures laissent apparaître les manches étroites de la cotte ; ses manches pendantes soulignent l’importance du personnage par leur amplitude et leurs ornements. Dans cette fin du XIIIe siècle, les manteaux à capuchon (housses) viennent enrichir la garde-robe tant masculine que féminine. On retrouve ces pièces vestimentaires au F°110 de la Glose des Décrets de Gratien (Ms 0397 Bordeaux, XIIIe siècle), où un enfant porte une tenue comparable à celle de l’adulte qui l’accompagne. Cette miniature est aussi l’occasion d’observer la coiffure masculine si particulière aux images des XIIIe et XIVe siècles : une frange bouclée et des cheveux roulés et tombant sur les oreilles encadrent un visage imberbe et délicat.
Peu après 1340, cette coupe presque unisexe du costume laisse place à une nouvelle, plus genrée, qui montre et individualise davantage le corps et ainsi la personne. La silhouette est désormais élancée et composée de courbes mises en valeur, comme on peut le voir dans les Décades de Tite-Live, traduites par Pierre Bersuire et abondamment illustrées dans le dernier quart du XIVe siècle (Ms 0730 Bordeaux).
Les femmes portent une robe cousue sur elles, très ajustée sur le buste et au large décolleté. La longue jupe s’évase vers le bas tandis que les manches très étroites s’achèvent par des manchettes débordantes. Par dessus la chemise, les hommes portent désormais un vêtement de dessus, le pourpoint, tombant au niveau des hanches, boutonné sur toute la hauteur et ouvert sur un col haut qui oblige au port d’une coiffure plus courte. Il est cintré à la taille par une lourde et large ceinture. Les chausses, semblables à nos collants actuels, laissent les jambes entièrement visibles. Les chaussures sont très pointues.
Pour autant, le costume long du XIIIe siècle continue d’être porté jusqu’à la fin du XIVe siècle par les hommes d’âge mur de la noblesse et de la bourgeoisie. Mais, au-delà, son usage et son image se perpétuent aussi hors de la norme vestimentaire, par exemple dans les représentations du pouvoir royal. Chacune de ces illustrations inscrit la figure du roi dans une tradition, dans un temps long, et fige en quelque sorte son image, participant ainsi chaque fois à actualiser sa légitimité.
L’habit long est également attaché à certaines professions (gens de « robe »), liées au pouvoir et à son administration ou plus largement à l’autorité (administrative, juridique, professionnelle ou intellectuelle). Les uniformes distinctifs de chacune de ces professions ne se démarquent pas toujours clairement les uns des autres. Certains attributs ou compléments à la garde-robe, tels que des coiffes ou des couleurs particulières, complètent un habit parfois commun à plusieurs professions. C’est ce que permet de voir la miniature du F°79 d’un code Justinien (Ms 0355-3 Bordeaux), où figurent un greffier, un juge et un avocat. Ailleurs dans ce même manuscrit, on aperçoit également des cols et des manteaux doublés d’une fourrure d’écureuil, le vair, représentée par de petits écus blancs et d’usage fréquent dans ce type de costume, à côté de l’hermine.
Un autre type de costume échappe plus largement à la mode, pour d’autres raisons : celui des classes moyennes et pauvres. Il va de soi que le costume populaire, celui du travailleur, qu’il soit masculin ou féminin, répond avant tout à des préoccupations d’ordre pratique. Il doit être solide, permettre une grande aisance de mouvements et doit pouvoir s’adapter à la variété des tâches et des activités, tant au cours d’une même journée qu’au cours des saisons. L’habit court resta donc de mise pour les hommes qui, au-dessus de chausses retenues aux braies et par dessus leur chemise, portaient une cotte serrée à la taille par une ceinture à laquelle pendaient leurs outils. Les femmes portaient une cotte longue, protégée par un tablier en toile.
Passée cette véritable révolution de la coupe vestimentaire, c’est le faste, la somptuosité des couleurs, des formes et des matières qui l’emportent dès la fin du XIVe siècle et tout au long du siècle suivant. L’introduction de la houppelande constitue la transformation principale de l’habit du premier tiers du XVe siècle et marque la réapparition d’un vêtement de dessus ample, porté long puis court par les hommes. Trois longueurs de robes se démarquent nettement : longue ou au-dessus du genou (pour l’ensemble de la gente masculine) et courte (réservée aux jeunes hommes) (Marcadé 16). L’actualisation constante et la sophistication des détails font naître des formes diversifiées et extravagantes (manches traînantes, galons crénelés, couvre-chefs, etc.).
À partir des années 1430-1440, le vêtement de dessus, long et ample, est remplacé par la robe, que des plis « en tuyaux d’orgue » participent à rendre proche du corps. Sa longueur allant en diminuant au cours du siècle, les jambes des hommes réapparaissent, gainées de chausses moulantes et les pieds chaussés de poulaines. Les épaules sont élargies par des manches bouffantes, tandis que la coiffe (haut bonnet de feutre ou chaperon) accentue la verticalité de la silhouette. Pour les femmes, la robe est très serrante sur le buste et les bras. Le décolleté en V est barré horizontalement par une pièce de tissu (le tassel). La jupe très ample est prolongée par une traîne, tandis que le hennin (haute coiffe agrémentée de voiles fins), porté au-dessus d’un front dégagé, prolonge vers le haut cette silhouette déjà marquée par la verticalité.
Au cours de la dernière décennie du XVe siècle, les coiffes féminines perdent en hauteur, les manches de la robe s’élargissent. Il en va de même des bonnets masculins qui, en revanche, s’agrémentent d’un spectaculaire panache. Les chaussures s’épaississent, plus larges et arrondies. Ces transformations ainsi que l’apparition des manteaux courts à col large et plat pour les hommes et les robes à décolleté carré pour les deux sexes contribuent à élargir et raccourcir la silhouette.
L’évolution de l’équipement militaire entre la fin du XIe siècle et le milieu du XIIIe siècle avait rendu les combattants méconnaissables, sous le capuchon de maille de leur haubert (cotte de maille) ou derrière le nasal de leur casque. Malheureusement, aucune image du catalogue ne témoigne de cette réalité, qui avait conduit au développement de l’héraldique. Les combattants avaient pris, en effet, l’habitude de faire peindre sur leur bouclier des figures géométriques, animales ou florales de couleurs vives, qui leur serviraient de signes de reconnaissance au cœur de la mêlée.
Les F°15v et 82v du Livre des statuts et des coutumes de la ville d’Agen (Ms 0042 Agen) illustrent parfaitement l’état de l’équipement militaire à la fin du XIIIe siècle. Pour le départ pour l’host comme dans le duel ici représentés, tous les combattants portent le haubert, accompagné du collet, de gantelets et de chausses de mailles. Leur corps est ainsi entièrement protégé, mais aussi préservé du frottement des mailles par une doublure d’étoffe ou le port d’une cotte sous le haubert. Nombreux sont coiffés d’un simple casque sans visière ni couvre-nuque (la cervelière) et quelques uns, les chefs militaires, le sont d’un heaume dont le timbre est plat. Très efficace du point de vue défensif, le heaume présente l’inconvénient d’être lourd et incommode de sorte qu’au XIIIe siècle il est abandonné pour les combats, son usage se limitant aux tournois et aux cérémonies, comme ici au F°15v. Dans cette même image, plusieurs soldats ont passé une cotte d’armes (sorte de surcot sans manches) en toile de couleur vive, ceinte à la taille. La tête de la monture d’un des cavaliers est équipée également d’une sorte de cotte de maille.
Armés de lances et d’épées, ils sont pourvus d’un écu (bouclier) portant leurs armoiries ; ces derniers leurs servent à la fois à parer les coups de l’ennemi et à se faire reconnaître des leurs, au cœur de la bataille. L’écu a la forme d’un triangle allongé, de grandes dimensions, parfois légèrement courbé le long de l’axe vertical afin de mieux couvrir le corps.
Ces images traduisent une part seulement de la réalité de l’équipement des hommes d’armes. Coûteux, celui-ci variait en fonction des moyens du combattant d’une part, mais aussi selon sa fonction au sein de la troupe. Cavaliers et hommes de pied ne pouvaient être armés de la même façon, qui plus est au sein de formations composées tant de professionnels de la guerre que de simples recrues levées à l’occasion d’un conflit. Ainsi, les gens de pied, portaient plus souvent comme casque un chapel de fer ou de cuir bouilli et, couvrant leur torse, un gambison (vêtement rembourré d’étoupe ou de filasse) ou une cotte de cuir.
Les Décades de Tite-Live, traduites par Pierre Bersuire (Ms 0730 Bordeaux), qui relatent les hauts faits de l’histoire de Rome et parmi eux nombre d’épisodes guerriers, témoignent des vêtements défensifs en usage dans le dernier quart du XIVe siècle. Les événements du passé antique y sont transposés dans des costumes, des équipements et des paysages du XIVe siècle.
Désormais, bien que toujours utilisée, la cervelière laisse la place à des casques plus complets. Le chapel de fer se généralise, mais plus encore les protections se multiplient, à l’image de ce que l’on observe aux F°79 et 84 par exemple, où une visière mobile est fixée sur le bacinet (casque) de plusieurs combattants.
Au F°427v, le harnois (armure de la monture) est bien visible. Sous le long caparaçon du destrier de chacun des deux cavaliers se lançant dans la bataille, apparaît une housse, sorte de cotte de maille. Les cavaliers, deux princes, identifiables comme tels à la couronne au cimier de leur bacinet, sont efficacement équipés. Sous une longue et ample cotte d’armes, ils sont protégés par un haubert complété par des plates d’armures, pièces de défense métalliques, façonnées pour s’adapter aux différentes parties du corps et former une carapace pour celles les plus exposées. Ces éléments sont apparus à la fin du XIIIe siècle et, petit à petit, par accumulation, ont fini par recouvrir l’ensemble du corps et aboutir ainsi aux armures complètes du XVe siècle. La majorité des combattants figurés dans ce manuscrit sont équipés de ces plates ; les termes les désignant correspondent à leur emplacement sur le corps : coudières, genouillères, cuissots, collet, gantelets, etc. Les ailettes protègent les épaules, les sollerets les pieds.
Avec la naissance de l’artillerie à poudre au XIVe siècle et la généralisation de son emploi au siècle suivant, l’équipement individuel du combattant devint moins efficace. Pourtant, l’armure continua à se perfectionner, par l’adjonction de pièces défensives et d’articulations qui finirent de lui donner l’aspect d’une carapace d’acier, comme en témoignent le personnage de la marge du F°58v d’un livre d’heures de la fin du XVe siècle (Ms 0094 Bordeaux) ou les anges au F°1 du pontifical à l’usage de Périgueux (Ms 0171 Pe´rigueux, seconde moitié du XVe siècle). Les plastrons bombés protègent désormais le buste. La salade, équipée ou non d’une visière amovible, protège efficacement la nuque et complète la protection de la tête. L’usage du chapel perdure, combiné au gorgerin, pièce métallique protégeant la gorge. Mais une fois encore, les panoplies les plus complètes reviennent aux hommes du commandement, à une époque où les grandes troupes se composent pour l’essentiel d’hommes de pied.
Les représentations animales, qu’il s’agisse d’animaux du quotidien, d’animaux exotiques ou d’animaux fantastiques et d’êtres hybrides, sont très présentes dans les peintures de manuscrits. Selon qu’elles figurent dans la composition d’une miniature, dans une lettrine ou au sein de drôleries, ces images d’animaux revêtent des fonctions bien différentes.
Ici, elles peuvent participer pleinement au sens d’une scène dont elles ont le premier rôle, à l’instar de la colombe du Saint-Esprit. Ailleurs, elles contribuent à la mise en contexte, au paysage environnant du sujet principal, comme c’est le cas par exemple des animaux de l’Annonce aux bergers. Ailleurs encore, les animaux auront une fonction symbolique, participant au sens de la scène dans laquelle ils figurent en apportant une précision ; c’est le cas par exemple d’un agneau désigné du doigt par un berger dans une Adoration des bergers, qui préfigure le sacrifice à venir de Jésus. C’est le cas également des animaux qui accompagnent les saints et permettent de les identifier (lion de saint Jérôme).
Dans les lettrines, les représentations animales participent fréquemment, à l’époque romane, à la formation des lettres. Elles les animent en leur donnant corps à proprement parler ; les anatomies félines et celles des oiseaux sont privilégiées et s’étirent pour former les courbes et contrecourbes nécessaires à la formation des différentes parties des signes graphiques. Parfois, au contraire, des têtes animales naissent des entrelacs d’une lettre, qui eux-mêmes avaient été vomis par un masque félin. Les panses, enfin, sont fréquemment le cadre de chasses et de cueillettes, où animaux et hommes se meuvent dans une végétation exubérante.
À partir du milieu du XIIIe siècle, les animaux réels et fantastiques se multiplient dans les marges, dans ce que l’on nomme les « drôleries », petites scènes marginales souvent cocasses et qui sont un miroir de l’ordre ou du désordre de la société. Elles divertissent le lecteur et lui enseignent certains préceptes moraux.
On y retrouve les représentations animales au travers de fables et d’histoires populaires, à l’instar de la chasse à la licorne, qui sont aussi l’occasion d’exalter certaines valeurs associées à des pratiques sociales telles que la chasse. Ailleurs, les animaux parodient les travers humains, singeant l’homme (au sens propre) dans son quotidien, dans des scénettes où de petits singes s’illustrent à l’école, au monastère…
Certains travers et l’animalité de l’homme sont aussi abondamment illustrés par les êtres hybrides, composés de formes humaines et animales. Ces mises en garde portant sur les rapports de l’homme avec l’animal sont enrichies par des scènes carnavalesques ou plus largement issues du folklore païen : les hommes y sont vêtus de peaux de bêtes parmi des animaux musiciens.
Les connaissances scientifiques du Moyen Âge en matière de sciences naturelles se fondent, pour l’essentiel, sur des textes et catalogues antiques tels que l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (Ier siècle de notre ère). Il fallut attendre le XIIIe siècle pour que soit redécouverte l’Histoire des animaux d’Aristote (IVe siècle avant notre ère). Néanmoins, déjà au XIIe siècle, une observation scientifique du monde avait initié plusieurs travaux, qui aboutirent par exemple à la rédaction, au XIIIe siècle, du De animalibus d’Albert le Grand et du Livre des propriétés des choses de Barthélemy l’Anglais. Dès lors, les ouvrages se multiplièrent, traitant d’aspects plus particulièrement utilitaires du monde animal : l’élevage, l’agriculture, la chasse.
Le bestiaire, quant à lui, est un type de manuscrit illustré qui présente les natures d’une cinquantaine d’animaux, c’est-à-dire leurs comportements légendaires. Il s’inspire du Physiologus, rédigé à Alexandrie au IIe siècle de notre ère, et se fonde ainsi sur une lecture moralisée des natures des animaux qui y sont présentés : à chaque animal est attribué une valeur symbolique puisée dans des exemples tirés de la Bible. Le bestiaire est donc destiné plus particulièrement à l’édification des chrétiens ; on le trouve parfois associé à des manuels de prédication. Il inspira aussi nombre de faiseurs d’images dont la production couvrait une part importante des ornements architecturaux, du mobilier et des manuscrits. Une portion nous en est parvenue dans la sculpture, les carreaux de pavement, les pièces de mobilier et les arts de la couleur.
Parmi les animaux décrits dans le bestiaire médiéval, figurent en première place les animaux sauvages d’Orient, comme le lion, le tigre, la panthère ou l’éléphant. On y trouve également des animaux mythiques comme la licorne, le phénix ou le dragon, puis des animaux communs, à l’instar du chien ou de l’abeille.
De façon générale, l’oiseau, capable de s’élever dans les cieux, est perçu comme l’animal le plus proche du monde spirituel. Il invite l’homme à la contemplation du monde et, pour cette raison, figure dans nombre de livres d’Heures, dont les marges deviennent parfois de véritables volières.
La littérature courtoise fait du binôme chien-oiseau un véritable couple et traite du thème de la chasse comme d’une métaphore des rapports homme-femme. L’homme y est associé tantôt au faucon, tantôt à la proie, tandis que le chien est, au contraire, plus emblématique de la dame. L’analogie est reprise par les clercs pour stigmatiser les débordements de la sexualité masculine ; dans leurs textes, l’homme y figure sous les traits du vautour ou du cochon, dérivés abâtardis du faucon et du sanglier. Selon un principe similaire, les clercs s’assimilent au coq, éveilleur des consciences.
C’est une colombe qui annonça à Noé la fin du Déluge et c’est elle qui accompagne certains grands épisodes du Nouveau Testament et de la tradition chrétienne, à l’instar de l’Annonciation, du Baptême du Christ et de la Pentecôte. D’abord symbole de la paix, au Moyen Âge la colombe incarne le Saint-Esprit dans les images correspondant à ces épisodes. Tenant le même rôle, elle figure auprès du Père et du Fils dans les représentations de la Trinité.
Elle matérialise aussi la parole divine, inspiratrice des empereurs, des Pères de l’Eglise, des Evangélistes, etc., ainsi que l’action plus générale de Dieu auprès des hommes. Enfin, sa blancheur immaculée lui confère une réputation de pureté, la désignant ainsi comme animal privilégié du sacrifice, mais aussi comme l’incarnation de l’âme humaine : impérissable et légère, elle s’élève vers Dieu.
Aristote vante leur sens de l’économie, elles qui consomment le miel avec parcimonie, insiste sur le fait qu’elles ne goûtent pas la viande et qu’elles sont des créatures propres et laborieuses au sein d’une société organisée. Pline souligne leur discipline admirable et leur sens du bien commun.
Parées de telles vertus, les abeilles servent de modèles d’édification aux auteurs chrétiens. Elles sont données en exemple aux moines et aux laïcs pour leur sens communautaire. Le monastère est comparable à la ruche, où règnent l’ordre, la propreté, le silence, le travail, l’obéissance et la sobriété. Elles incarnent aussi la chasteté, se nourrissant de rosée et composant son miel plutôt que de se livrer à l’accouplement. Enfin, une tradition héritée de l’Antiquité et reprise dans l’Ancien Testament faisait naître l’abeille des cadavres d’animaux en putréfaction ; cette particularité fut alors considérée au Moyen Âge comme symbolisant la victoire de l’amour sur les pulsions funestes : il faut avoir anéanti en soi ces pulsions pour trouver la douceur de l’amour.
D’autres y voient toutefois un animal pourvu d’une nature dont il faut se méfier. Saint Grégoire le Grand la considère ainsi comme aussi perverse que le scorpion, « du miel à la bouche et du venin dans la queue ».
Dans le Roman de Fauvel, satire sociale du monde courtisan du XIVe siècle, le cheval est un animal antipathique, dont le nom signifie « Fausseté voilée » ; sorti de son étable, il se rend à la cour où tout le monde le caresse et devient un personnage important. Pourtant, le cheval est aussi un animal utile et important au quotidien, l’apanage des hommes de haut rang. Nombre d’enluminures le montrent en contexte militaire.
Depuis l’Antiquité, il est un symbole guerrier. Le cheval de bataille porte ainsi son cavalier vers la victoire. Maintenu au pas, il peut exprimer l’obéissance, la force contenue, maîtrisée. Mais, le cheval n’en reste pas moins orgueilleux, ombrageux, pourvu d’une puissante nature émotive. Cabré ou au galop, il exprime le déchaînement des passions indomptées, le chaos, l’affolement.
L’âne occupe une place prépondérante dans deux épisodes majeurs de l’iconographie chrétienne. En effet, il sert de monture à la Vierge lors de la Fuite de la Sainte Famille en Egypte et à Jésus lors de son entrée triomphale à Jérusalem le jour des Rameaux. En cela il s’oppose au cheval comme la monture des humbles. Les Pères de l’Eglise voyaient en l’onagre (âne sauvage) l’image des moines vivant au désert et l’animal, réputé patient, était donné en modèle aux hommes maltraités ; injuriés et frappés, ils doivent, comme l’âne, ne pas répondre et poursuivre leur chemin.
Dans le même temps, le Moyen Âge voyait en l’âne un animal peu vertueux. Symbole de l’indécision, l’âne de Buridan meurt de faim et de soif ne sachant se déterminer entre un seau d’eau et une botte de foin. Lâche, l’âne est violent à l’encontre du vieux lion. Enfin, il est un attribut d’un des péchés capitaux, servant de monture au paysan dans l’allégorie de la Paresse.
Dans l’Antiquité, le taureau était l’objet de nombreux récits, jeux, cultes et sacrifices, au sein desquels il était tantôt l’animal divin par excellence, tantôt une bête indomptable. Le christianisme, au contraire, en fit un animal néfaste, associé au diable. Ses cornes, sa queue et ses pattes en devinrent les attributs principaux.
Alors, lui fut substituée la figure vertueuse du bœuf, dont la vision d’Ezéchiel faisait le symbole de l’Evangéliste Luc. D’autres textes de l’Ancien Testament le citent comme l’animal privilégié du sacrifice rituel. Les récits apocryphes de la Nativité le placèrent auprès de l’âne dans les représentations de la crèche.
Bête de somme, affectée aux labours et aux transports, le bœuf est paisible et patient. Il est tout à la fois l’image de l’obéissance, de la fertilité, de la richesse, de la force et du sacrifice. Autant de qualités qui en font, au Moyen Âge, un animal vertueux, une figure christologique : à l’image du Christ, il creuse un sillon fertile pour les hommes.
D’un point de vue strictement pratique, le bœuf est un animal précieux au Moyen Âge. Docile et fort, il est employé tant aux labours que pour le transport. Sa viande, bien que jugée de peu de noblesse en comparaison de celle du veau, est la plus consommée à la fin du Moyen Âge. On la mange alors généralement bouillie.
Leur élevage intense au Moyen Âge répond à un triple besoin. Il sont à la fois utiles pour leur viande et les produits dérivés de leur lait (alimentaire), pour leur laine (vestimentaire) et pour leur peau (vestimentaire, parchemins). Le lait se consomme essentiellement sous forme de fromage et de beurre ; les laitages sont théoriquement réservés aux jours gras de l’année. Les viandes dures étaient légèrement bouillies avant d’être rôties ; celle de l’agneau ne nécessitait pas ce traitement et était souvent servie farcie.
Depuis ses origines, le christianisme associe le Christ à l’agneau. En tant que « Bon pasteur » il veille sur son troupeau, autrement dit sur ses fidèles. Plus largement, le Christ est identifié à l’agneau, animal du sacrifice fait à Dieu pour apaiser sa colère, également animal de la Pâque. Il s’agit là non plus du Christ Bon pasteur, mais du Sauveur.
Dans son Evangile, Jean rapporte que Jean-Baptiste, après l’avoir baptisé, désigna le Christ comme « l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde ». Par là même, l’agneau est aussi l’attribut de saint Jean-Baptiste. C’est encore l’agneau qui, dans la vision de l’Apocalypse, brise les sceaux libérant les quatre cavaliers et est acclamé par les anges et la cour céleste. Cette forte symbolique a pour conséquence de faire figurer l’agneau sous les formes les plus variées, tant dans les églises que dans les enluminures, par exemple dans les représentations de la Nativité.
Le renard
Le goupil est jugé fourbe depuis l’Antiquité. Au Moyen Âge, il incarne la ruse, la perfidie, l’hypocrisie, comme en témoigne le Roman de Renart, ensemble de récits superposés, dans lequel Renart incarne la ruse dans le monde des hommes. Ce texte donna son nom à l’animal.
L’ours
Roi des animaux jusque vers le XIIe siècle, l’ours occupait alors une place prépondérante dans les récits mythologiques et dans le calendrier. L’Eglise fit de cette figure païenne un animal négatif, dont la nature le désignait dès lors comme le symbole même de certains vices et de péchés capitaux : la Lubricité, la Gloutonnerie et la Colère.
Au quotidien, l’ours devient un animal exhibé par les forains. Ainsi muselé et entravé, l’ancien héros détrôné voit sa force et sa bestialité réduites en une ridicule docilité, emprunte de maladresse et entachée de gourmandise. Il reste toutefois une proie appréciée des chasseurs.
Le cerf
Le cerf apparaît dans les récits mythologiques de l’Antiquité gréco-romaine (métamorphose d’Actéon) et des traditions celtes et germaniques. Bien qu’apprécié par la déesse chasseresse Diane, il semble qu’il fut jugé par les veneurs de l’Antiquité trop craintif pour constituer un gibier intéressant. Selon le Physiologus, il est pourtant puissant et dévore les serpents pour reprendre des forces.
Au Moyen Âge, cet animal pur et vertueux devient un symbole christologique, par analogie avec le Christ vainqueur du démon, mais aussi notamment par un jeu de mots entre servus (le Sauveur) et cervus (le cerf). Sa puissance et la régénérescence annuelle de ses bois en font un motif évocateur de résurrection et de fécondité, incarnation du baptême.
De façon plus prosaïque, il est un symbole de virilité, de force sexuelle, de puissance. À la fin du Moyen Âge, il est perçu par les veneurs comme le gibier le plus noble qui puisse être chassé. La thématique de la chasse alimente d’ailleurs bon nombre des récits mettant en scène le cerf, comme celle du cerf blanc dans les romans de la Table ronde. Elle est aussi présente dans les récits hagiographiques (légendes de saint Hubert et de saint Eustache) et figure fréquemment dans les marges de manuscrits. À partir du XVe siècle, le cerf entre dans le catalogue des figures emblématiques des rois de France et d’Angleterre.
L’aigle
Selon une tradition ancienne, l’aigle se régénère périodiquement. En cela, il est le symbole du rajeunissement perpétuel offert au fidèle qui se nourrit de la parole divine. Le bestiaire précise que, devenu vieux, l’aigle cherche une source d’eau pure et vole vers le soleil pour brûler à sa lumière ses vieilles ailes et son aveuglement, avant de fondre vers la source et d’y plonger par trois fois pour se régénérer et devenir jeune. Ainsi, le fidèle, à son imitation, est invité à chercher la source intelligible, le Verbe de Dieu et à voler vers Jésus-Christ, pour se débarrasser de son ancien être, pour renaître.
Les auteurs du Moyen Âge développent la dimension christologique de l’aigle. Tous deux, descendus sur terre par leur vol, peuvent sans clignement contempler le soleil les yeux ouverts. Comme l’aigle qui enlève les êtres depuis un lieu élevé, le Christ est monté sur la Croix pour vaincre le démon et emporter aux cieux les saints qu’il a saisis. Comme lui, il veille sur son nid avec affection. Ainsi, rapide par son vol et haut par sa vue, l’aigle conserve dans les écrits chrétiens la nature supérieure que lui conféraient les mythes antiques. L’oiseau de Jupiter est devenu celui de l’Evangéliste Jean. Maître du ciel, il symbolise la nature divine du Christ.
Ces animaux, sauf exceptions, ne furent pas représentés d’après nature, mais à partir d’images et de modèles transmis depuis l’Antiquité et actualisés. Le réalisme naturaliste des représentations ne peut que pâtir de cette situation, au contraire toutefois de la réalité culturelle qu’elles traduisent. Cette réalité culturelle était certainement d’autant plus forte d’ailleurs qu’elle reposait sur une longue tradition moralisée et qu’elle n’avait pas à se confronter à la réalité des faits. En d’autres termes, la réalité du tigre reposait sur l’idée que l’on s’en faisait, elle-même fondée sur les images de tigre que l’on pouvait avoir vues, elles-mêmes issues pour beaucoup de l’idée que l’on s’était faite du tigre par le passé…
Ainsi, les qualités tant physiques que comportementales des animaux exotiques étaient-elles fantasmées et, pour les secondes, moralisées, pour l’essentiel.
Le lion
Au Moyen Âge, le moins exotique des animaux exotiques est certainement le lion. Présent dans nombre de ménageries, il l’est aussi dans de très nombreuses images. Il est ainsi, par exemple, fréquemment employé dans les armoiries.
Selon le bestiaire, le lion est de nature bienveillante, qui n’attaque l’homme que par nécessité et craint le coq blanc et le grincement des roues de charrette. C’est vers le XIIe siècle qu’il remplace l’ours comme roi des animaux. Le bestiaire précise que les lionceaux viennent au monde mort-nés et que, passés trois jours, leur père les ranime de son souffle. Ce récit rattache le lion à l’épisode de la Résurrection du Christ, le troisième jour après sa mort.
Selon la Bible et la tradition religieuse, le lion est une figure alternativement positive (les lions du trône de Salomon, le lion de saint Marc, le lion de saint Jérôme) et négative (combats de Samson, David et Daniel contre lui, le lion de l’Orgueil). Il est souvent représenté, dans les lettrines par exemple, en combinaison avec l’aigle. Il s’agit d’un couple contradictoire dans lequel le lion figure la part physique de l’homme, l’aigle sa part spirituelle.
L’éléphant
L’éléphant est source de nombreuses légendes, traduites dans les récits naturalistes antiques et dans les textes des Pères de l’Eglise. Il est calmé par les parfums et la musique. Il aime les fleurs, craint le feu, s’accouple en secret, possède une grande mémo
Nombre de ces comportements et qualités lui ont donné le statut d’animal le plus proche de l’homme. Il a ainsi servi de modèle pour l’édification des chrétiens. Sa probité et sa prudence sont louées, de même que sa fidélité, sa chasteté et sa pudeur. Selon le Physiologus, le mâle n’ayant aucun désir d’union sexuelle, la femelle l’enivre à cet effet en lui faisant goûter le fruit de mandragore. Ce thème, induit des comparaisons avec le Péché originel, faisant du couple d’éléphants, des représentations d’Adam et Eve. Cela d’autant plus, peut-être, que l’éléphant, par la suite, protège la femelle et sa progéniture du serpent, leur ennemi.
Moins encore que les animaux exotiques, les animaux fantastiques et les êtres hybrides ne purent être observés dans la nature par ceux qui les ont représentés. Ils ne purent être vus ailleurs que dans les bestiaires ou dans l’imagination de leurs créateurs. Pourtant, il ne faisait alors aucun doute que ces créatures mythiques étaient bien réelles. Leur existence et leur nature avaient été décrites et transmises par les récits des spiritualités occidentale et orientale. Aussi, les considérait-on moins comme des bêtes mythiques que comme des êtres exotiques, appartenant à des peuples ou à des espèces relégués aux confins du monde connu.
À l’instar des animaux communs et exotiques, une part de ces créatures fabuleuses était donc décrite dans le bestiaire hérité de l’Antiquité, mais nombre d’entre elles naquirent au Moyen Âge. Les lettrines bien sûr, mais surtout les marges des manuscrits, à partir du XIIIe siècle, en furent peuplées. La créativité des peintres y trouva des espaces favorables à l’invention et à l’épanouissement d’êtres hybrides, de figures animales et d’anthropomorphes.
Pour les chrétiens, les hybrides mi-homme mi-animal incarnaient la dualité de la nature humaine. Dès lors, ce furent des foules de nouvelles créatures qui prirent forme dans des combinaisons délirantes : des parties animales, végétales et humaines sont jointes dans des assemblages invraisemblables et des mues contre-nature. Les métamorphoses successives finissent par faire s’accorder dans ces chimères des portions d’êtres fabuleux. D’infinis arrangements sont ainsi créés, censés synthétiser des tempéraments et des comportements légendaires, tant est si bien qu’il semble difficile d’en établir le catalogue, la taxinomie et les natures.
Toujours est-il qu’à côté des centaures, basilics, sirènes, harpies, griffons et autres animaux fantastiques « traditionnels », on y retrouve un certain de nombre de grylles sans tronc, formés d’une tête directement fixée sur des pattes ou des jambes. Chasseurs pour une part, les hybrides sont aussi musiciens et, en cela, sont jugés comme des ministri satanae par les moralistes.
Originellement, la licorne est un animal violent, seul à oser s’attaquer à l’éléphant. À partir du XIIe siècle, elle acquiert une dimension positive et devient un animal pur, paisible et doux. Pour autant, sa force oblige les veneurs qui souhaitent s’emparer d’elle et de sa corne aux vertus médicinales et aphrodisiaques, à la piéger par la ruse. Ils doivent ainsi profiter de sa propension à s’endormir sur le sein des jeunes vierges.
Partant, la dame accueillant la licorne en son sein est devenu un motif iconographique très apprécié et recouvrant plusieurs sens. Pour la symbolique religieuse, elle est l’Incarnation du Christ accueillant le pécheur. Filant la métaphore, la chasse et la mise à mort de la licorne symbolisent la Passion du Christ. La licorne figure ainsi parmi les animaux du bestiaire, rassemblés pour édifier les chrétiens. Dans la littérature courtoise, la licorne symbolise l’homme endormi dans le sein de la femme, pris ainsi au piège de l’amour. La licorne est également un emblème de la chasteté.
Représentant du Bien tout autant que du Mal, le dragon synthétise les quatre éléments : il vit aussi bien sur terre que dans l’eau et dans les cieux et crache le feu. Selon le bestiaire, natif d’Ethiopie, il est le plus grand des animaux rampants. « Il a la gueule petite, le corps grand et reluisant comme or fin et la queue longue. C’est l’ennemi de l’éléphant ; par les jambes il l’abat ; c’est avec sa queue qu’il triomphe de lui ; là est, en effet, le principe de sa force ; sa gueule ne porte point de venin. ». Les détails de sa physionomie sont fluctuants, mais il présente généralement l’allure d’un reptile ailé et armé de dents tranchantes, d’une carapace et de griffes acérées.
Dans la mythologie héritée de l’Antiquité comme dans la littérature produite au Moyen Âge ainsi que dans les récits hagiographiques, il constitue l’obstacle traditionnel d’une épreuve initiatique : il est la créature emblématique en charge de garder un objet, un lieu ou une personne, que le héros est en charge de libérer. Ici, il incarne le Mal, l’hérésie, Satan, etc. selon le contexte. Dans la quête du Graal, Perceval libère un lionceau de son emprise. Saint Georges comme saint Michel le transpercent de leur lance. Sainte Marguerite, après avoir été avalée par lui, le transperce de sa croix. Dans le récit de l’Apocalypse, il incarne Satan lui-même, vaincu par la cohorte céleste.
Le phénix est un oiseau au plumage pourpre - à l’exception des plumes dorées de son cou et de sa queue blanche - de la taille d’un aigle et coiffé d’une huppe écarlate. Il tire son nom (phénicée) de la couleur de son plumage.
Il trouve son origine dans Benu, oiseau sacré d’Egypte, incarnation du soleil, qui apparaissait seulement tous les 500 ans. Le phénix se nourrissait de rosée. Sentant sa mort approcher, après avoir édifié son nid d’herbes odorantes sur l’autel d’Héliopolis, il s’y installait, s’exposant à la lumière du soleil qui l’embrasait. Trois jours plus tard, il renaissait de ses cendres.
Associé au cycle du soleil, il symbolise ainsi la force à la fois destructrice et féconde du feu qui, tour à tour, consume, purifie et régénère la vie. Cette nature particulière qui en fait l’unique oiseau de son espèce, en fait aussi, tout au long du Moyen Âge, une figure christologique, un symbole de la Résurrection du Christ et de l’immortalité de l’âme.
Le griffon est un être mythologique hérité de la tradition antique. Dans l’Antiquité, il était chargé de protéger les trésors d’Apollon et ce sont des griffons qui portèrent Alexandre le Grand dans son ascension vers le soleil.
Le griffon est une créature hybride mi-aigle (pattes avant, ailes et tête), mi-lion (corps et pattes arrière). Il est ainsi la synthèse de ces deux animaux qui règnent l’un dans le ciel, l’autre sur la terre. Cette particularité lui valut de passer, au Moyen Âge, du statut d’être démoniaque à celui de symbole christologique.
Le centaure est un être hybride composé d’un buste humain sur un corps de cheval. Vivant en horde dans les montagnes de Thessalie (Nord de la Grèce), selon la mythologie antique, il est cruel et brutal et se nourrit de chair crue. On le représente armé de différentes façons mais il est majoritairement identifié à un archer. L’épisode victorieux des Lapithes sur les centaures, de même que celui des Grecs sur eux devant Troie, symbolisent le triomphe de la civilisation sur la barbarie. Cette tradition homérique parvint jusqu’au Moyen Âge, prenant alors forme dans le Roman de Troie.
Parmi ces créatures bestiales, Chiron, sage, accueillant et charitable, fait figure d’exception. Mais, il se différencie aussi des autres centaures par sa nature divine, puisque c’est un Titan, fils de Chronos. Il enseigne ainsi l’art de la médecine à de nombreux héros, parmi lesquels Héraclès, qui le blesse accidentellement d’une flèche empoisonnée. Souhaitant être libéré de la souffrance de cette blessure incurable, Chiron décide de mourir et de céder son immortalité à Prométhée, le délivrant ainsi de son supplice. Zeus place alors Chiron dans le ciel où il forme la constellation du Sagittaire, en référence aux sagittarii (archers de l’armée romaine). C’est sous cette forme qu’il devient une figure familière aux hommes du Moyen Âge, apparaissant comme motif décoratif récurrent dans nombre de marges de manuscrits.
Mais, les bestiaires médiévaux retiennent essentiellement la part sombre du centaure. Pendant masculin de la sirène, il y est présenté abâtardi en créature mi-homme mi-âne, aux prises à la violence des ses instincts bestiaux et incarnant la tentation.
Souvenir de l’organisation politique romaine, s’instaure au cours du haut Moyen Âge une vision hiérarchisée de la société, qui prend forme à partir du XIe siècle. Elle repose sur trois ordres dans lesquels se répartit l’ensemble de la société : ceux qui prient (Oratores), ceux qui combattent (Bellatores) et ceux qui travaillent (Laboratores). Si cette organisation s’institutionnalise au XIVe siècle, elle ne reflète pas pourtant la subtilité de la pratique, la réalité des relations et des appartenances sociales. Ces trois ordres sont plastiques et perméables, adaptés à une société mobile. Par ailleurs, même s’ils reflètent une conception hiérarchique du monde et de la société, ils reposent sur l’idée que le travail est une valeur. Chaque acteur participe au bon fonctionnement et au perfectionnement de la société, chaque fonction de chaque ordre est un rouage essentiel de cette mécanique voulue par Dieu.
Les représentants du premier ordre sont nombreux dans l’image médiévale et particulièrement dans l’enluminure. Outre les images satiriques des drôleries qui figurent aux marges des manuscrits, leurs représentations révèlent leur omniprésence dans la vie quotidienne, au sein de leur propre ordre, mais aussi dans les deux autres composantes de la société médiévale.
La liturgie occupe une part primordiale de leur vie, comme en témoigne le nombre de manuscrits qui y sont dédiés (Bible, antiphonaires, etc.) et certaines miniatures également. À ce titre, le Pontifical à l’usage de Périgueux est riche d’une iconographie fort intéressante puisqu’elle illustre les étapes du noviciat ainsi que certains actes de la liturgie.
L’enseignement revient aussi aux clercs. Quelques rares peintures témoignent de cette charge. Plus fréquentes sont celles qui mettent en scène les prélats dans des situations valorisant la primauté de l’Eglise donc de ses membres sur les deux autres ordres. Les couronnements de rois et d’empereurs occupent, à ce titre, une importance particulière dans la proclamation de cette primauté.
Ailleurs et très fréquemment, les clercs sont représentés hors du quotidien, dans des scènes extraordinaires à proprement parler, lorsqu’ils figurent comme témoins d’une apparition divine ou d’un miracle d’un saint. C’est fréquemment le cas pour le commanditaire d’un manuscrit lorsque celui-ci est peint au pied de la Croix ou agenouillé devant la Vierge à l’Enfant. Ailleurs, il peut s’agir parfois d’un lien plus intime, lorsqu’un commanditaire est représenté, par exemple, en présence de son saint patron ou du saint fondateur de son ordre monastique.
Les combattants, occupent une place privilégiée dans l’iconographie des manuscrits enluminés à partir de l’époque, dans le sens où ils en sont les plus nombreux commanditaires. S’ils ne sont pas toujours représentés dans leur quotidien, davantage le sont les activités qui les caractérisent et résument leur fonction sociale, valorisent les valeurs qu’ils prétendent défendre et incarner. Ainsi les romans, les chroniques, les ouvrages historiques exaltent-ils leurs vertus par le biais de hauts faits guerriers, historiques ou contemporains.
Sous cette appellation se cachent divers groupes de travailleurs. Dans un monde dans lequel l’économie est fondée sur le travail de la terre, les paysans occupent la proportion la plus importante de la population (90%). À proprement parler, le terme laborator, « celui qui peine », désigne même clairement le « laboureur ». À côté d’eux, l’ouvrier (operarius, « celui qui crée »), l’artisan et le marchand, tous travailleurs urbains, voient leurs activités s’intensifier avec le développement des villes.
Les scènes de la vie quotidienne des travailleurs sont en nombre restreint dans les miniatures du catalogue. Leur présence y est essentiellement liée à la contextualisation des illustrations de thèmes bibliques, liturgiques, juridiques, militaires, etc. L’Annonce aux bergers, constitue un exemple privilégié du travail d’élevage. On trouve aussi dans une lettrine isolée la représentation d’un semeur (Marcade´ 78), activité du travailleur agricole traditionnellement rattachée au mois de septembre dans les calendriers médiévaux, tant dans les images monumentales que dans la miniature, tant dans la sculpture que dans les arts de la couleur.
Les Coutumes d’Agen (Ms 0042) nous renseignent, quant à elles, sur les activités de stockage et de gestion des parcelles dans des scènes de transport du sel (F°17v) et d’arpentage (F°60). Le commerce y figure également, dans des miniatures qui se concentrent sur l’acte de mesure (F°33, 33v) du produit vendu et sur le moment du paiement (F°78v, 79v). Des fossoyeurs figurent aussi en deux occasions (Marcadé 90 ; Ms 1780 Bordeaux F°111), dans des scènes d’inhumation. L’artisanat et la construction sont absents du catalogue, mais leur iconographie est bien connue par ailleurs.
Au sein du catalogue, on ne possède que de rares témoignages du cadre de la vie domestique, autrement dit de la maison et de son mobilier. Les maisons y sont souvent traitées de façons stéréotypées, qui ne témoignent pas d’une réalité archéologique. Il s’agit de bâtiments assez élancés, présentant des façades étroites à pignon, percées de hautes portes et de petites fenêtres. Ce type architectural est aussi parfois employé pour représenter les églises (Marcadé 90). Il s’agit de l’image simplifiée du bâti dans sa plus large définition.
Il arrive même que la composition de l’image ou les codes iconographiques du moment, poussent les enlumineurs à réduire la demeure à sa plus simple expression : sa porte. Organe essentiel de la maison, elle est un lieu symbolique dans la pensée médiévale, marquant la propriété, le passage, l’ouverture double sur l’espace intérieur et sur celui de la société.
Il n’est pas aisé de comprendre l’organisation générale de la demeure à partir de ces exemples, ni même d’ailleurs à partir des quelques images plus précises. Tout au plus, peut-on deviner au nombre de fenêtres et à leurs formes recherchées, que les parties dévolues à la résidence et à l’apparat sont situées davantage à l’étage qu’au rez-de-chaussée, consacré quant à lui à l’artisanat, au stockage et au commerce. C’est ce que confirme, en partie, l’étude archéologique de la maison médiévale.
Hormis les trônes, réservés aux princes laïcs et de l’Eglise, qui sont représentés dans les scènes bibliques ou historiques, un élément du mobilier domestique ordinaire apparaît tout de même dans quelques vues intérieures de notre catalogue : le lit. Meuble de confort par excellence et par exclusive au Moyen Âge, il abrite le sommeil nocturne et certaines activités diurnes. Il sert en effet de lieu d’apparat d’où les puissants donnent audience et d’où les princes rendent justice. Il a, plus simplement et plus couramment, vocation de divan, de tapis de jeu, etc. Le lit conjugal est béni par le prêtre le soir des noces, avant que ne soit consommé le mariage. Toute personne en bonne santé, quelle que soit sa condition, y dort nue. C’est enfin le lieu de la mort : les gens du Moyen Âge meurent en grande majorité dans leur lit. On peut aussi y préparer sa mort, comme l’illustre une lettrine des Coutumes d’Agen (Ms 0042 Agen (F°55v)) ou s’y faire surprendre par elle (Ms 0730 Bordeaux (F°126v)). On y reçoit enfin les derniers honneurs (Imp 0509 Pau (F°28v)).
À partir du XIIe siècle, dans les demeures aisées, le lit est assorti d’un rideau coulissant sur une tringle, qui assure à la fois l’intimité de celui qui occupe le lit ainsi qu’une obscurité propice à son sommeil. Ce système se perfectionne au cours du temps, pour aboutir à des courtines, tentures qui encerclent le lit pour former une véritable chambre isolant le lit du reste de la pièce. Au XIVe siècle, l’ensemble est complété par un ciel, toit de tissu tendu au-dessus du lit. Ce dispositif ne cesse de se perfectionner jusqu’à aboutir au lit à baldaquin, vers 1490, dont les colonnes (quenouilles) disposées à chaque angle portent les différentes pièces de la tenture.
Parmi les divertissements de la société médiévale, deux d’entre eux sont illustrés par les manuscrits du catalogue : le jeu de trictrac et la chasse. Tous deux relèvent de pratiques propres aux élites aristocratiques puis bourgeoises, mais ils ne doivent pas minimiser la part croissante des occupations ludiques dans l’ensemble de la société médiévale au cours de la période.
Comme le jeu d’échecs, le trictrac demeure longtemps pratiqué par les seules élites, avant de gagner d’autres couches de la société. Les tabliers connus par les vestiges archéologiques sont en bois et plaqués en os et en bois de cerf. Les pions découverts en fouilles mesurent entre 2 et 6 cm de diamètre et sont en bois de cerf, en mandibules de bœuf, en défenses d’éléphant ou en canines de morse. Certains portent encore des traces d’une polychromie rouge. Les pions sont souvent sculptés de figures géométriques ou issues de l’iconographie biblique, mythologique ou courtoise.
Comme l’illustre la miniature des Décades de Tite-Live, les deux joueurs sont assis face à face de part et d’autre du tablier, ici posé sur une table. Dans cette image, de façon traditionnelle, chacun des joueurs marque un des deux temps du jeu. L’ambassadeur romain est en train de jouer, sa main déplaçant un pion, tandis que son adversaire l’observe ; cette posture d’observation est accentuée par le geste de la main levée au-dessus du tablier, le doigt tendu. Ici, ce geste d’indication se double d’une signification de commandement : le souverain ordonne l’assassinat des légats romains.
Les princes et l’aristocratie médiévale attachent une importance primordiale, une véritable passion à la chasse. Les images illustrant cette activité ne manquent d’ailleurs pas dans les manuscrits, tant dans les miniatures des manuels cynégétiques, que dans les marges à drôleries. Plus précisément, cette iconographie se multiplie à partir du XIIe siècle. Elle consiste alors souvent dans un premier temps en des représentations d’animaux à l’état naturel se faufilant entre les rinceaux des initiales ornées. On trouve également des chasseurs isolés armés d’arcs, dont la présence gagne peu à peu les marges. C’est là et dans les bordures que se répandent ensuite les scénettes dans lesquelles des chiens libres ou tenus par des valets pourchassent gros et petits gibiers (cervidés, lièvres, etc.).
Le jeu par excellence est le jeu d’échecs, mais celui représenté dans cette miniature est le trictrac, ancêtre de l’actuel backgammon, dont la pratique est attestée au Moyen Âge par les sources littéraires, l’iconographie et l’archéologie notamment. Le trictrac est le lointain héritier du jeu romain des douze lignes. Jeu de table, son dispositif matériel se résume à un tablier (plateau) divisé en deux rangées de douze cases, matérialisées par des flèches, quinze pions par joueur et trois dès. L’objectif du joueur est d’introduire ses jetons sur le tablier et de les faire ressortir du jeu le plus rapidement, après leur avoir fait parcourir les vingt-quatre cases.
La chasse aristocratique se caractérise par la combinaison de deux composantes complémentaires : la chasse au chien et la chasse à l’oiseau. Dans les deux cas, les chasseurs sont pourvus de montures et sont équipés légèrement, pour se prémunir des intempéries et de la végétation épineuse. Chasseurs, veneurs et valets portent une corne en bandoulière (le cor), dont la pratique et la maîtrise des codes langagiers leur assurent une parfaite communication et la bonne conduite de chacune des phases de la chasse.
La chasse au chien (chasse à courre) consiste en une longue poursuite de la proie dans une zone limitée précisément à la forêt. Depuis le haut Moyen Âge, des étendues étaient réquisitionnées et affectées à la chasse par les princes puis par une plus large aristocratie ; de plus en plus boisées, ces foris (espaces situés « en dehors ») constituèrent un lieu réservé exclusivement à la chasse aristocratique. En principe, la chasse cesse si l’animal sort de cet espace, dans lequel il est coursé par un équipage composé de cavaliers et d’une meute de chiens courants. Fuyant jusqu’à l’épuisement, il finit par interrompre sa course et fait face à ses poursuivants. Il est alors pris par force, c’est-à-dire achevé à l’épée ou à l’épieu.
Les animaux prisés sont par ordre de préférence les cervidés (cerf, chevreuil, daim), le sanglier et l’ours (rare selon les régions). Puis viennent les nuisibles (loup, renard) et le petit gibier (lièvre, lapin), à l’encontre de qui sont employés piégeage et filets.
La chasse à l’oiseau (volerie), ouverte aux femmes, se pratique à découvert, dans des espaces non exclusifs (terres agricoles, bordures de cours d’eau, etc.). Ici, les chiens aident à lever le gibier que les rapaces (faucons dressés) se chargent d’abattre. Les chasseurs sont donc beaucoup plus statiques que dans la chasse aux chiens.
Par analogie avec les préoccupations courtoises, l’objet de la chasse est moins la capture du gibier que sa quête, sa poursuite. La littérature courtoise fait du binôme chien-oiseau un véritable couple et traite du thème de la chasse comme d’une métaphore des rapports homme-femme. L’homme y est associé tantôt au faucon, tantôt à la proie, quand le chien est, au contraire, plus emblématique de la dame.
Aux XIIe et XIIIe siècles, les quatre premiers conciles de Latran précisent les règles de congruité du mariage et définissent le statut matrimonial. Ils précisent les règles concernant les liens de parenté, prohibant le mariage jusqu’au quatrième degré (arrière-arrière grand-père commun). Ils interdisent le mariage aux clercs ordonnés. Enfin, ils font du mariage un sacrement.
C’est à cette époque que se forme l’essentiel du droit matrimonial. Vers 1140, Gratien consacre une part de son Décret (somme du droit canonique médiéval) au mariage, valorisant notamment l’union charnelle, sans laquelle le mariage ne peut être « parfait ». Il y pose également diverses questions concernant l’âge, la liberté de choix du conjoint, la monogamie, le mariage avec des non-chrétiens, la fidélité conjugale, la procréation, etc.
Désormais, le mariage nécessite la bénédiction de l’Eglise. La cérémonie du mariage proprement dite est bien connue, notamment à partir du XIIIe siècle, grâce aux illustrations des manuscrits. Ces images témoignent toutefois du quotidien d’une portion aisée de la société et ne donnent ainsi qu’une idée partielle de la réalité.
Les fiancés se rendent à l’église, accompagnés de leurs parents et proches et de musiciens. Chacun est vêtu selon son rang et sa fortune. Il n’y a pas de tenue spécifique ni de couleur prescrite aux mariés, mais certaines régions méridionales manifestent une préférence pour le rouge, réminiscence d’un passé romain.
Au seuil de l’église, le cortège nuptial est accueilli par le curé qui y préside alors la cérémonie. Elle se déroule en général à l’extérieur, sous le porche. De part et d’autre de l’officiant, les époux échangent leur consentement ; chacun leur tour, à la formule Ego, do corpus meum (« Je te donne mon corps. »), l’autre répond Recipio (« Je le reçois. »). L’époux se place traditionnellement à la droite du prêtre, mais le Mariage de la Vierge des Heures à l’usage d’Evreux présente la particularité de situer Marie à la droite de l’officiant ; il faut certainement voir ici une adaptation contextuelle du thème due à la présence de la Vierge, à qui est donnée la place d’honneur.
Après quoi, le prêtre bénit les nouveaux époux, étendant sur eux son étole. Il bénit aussi l’alliance, qu’il remet ensuite à l’époux. Ce dernier passe alors l’anneau nuptial successivement au pouce, à l’index et au majeur de son épouse en disant solennellement Au non du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puis il le passe définitivement à son annulaire en concluant par Amen. C’est ce dernier moment de la remise de l’anneau qui est le plus souvent utilisé pour représenter le mariage. Réservé à l’épouse, l’anneau est le symbole de l’union des époux.
Mais, un autre rite peut aussi être employé, qui se retrouve également dans l’iconographie et notamment dans deux enluminures de notre catalogue. Il s’agit de la jonction des mains. Le père de l’épouse puis l’officiant maintiennent les mains des deux époux fortement jointes. Ce rite ancien représente symboliquement le don par un père de sa fille à son époux. Le geste était originellement accompli par le père de la mariée avant que le prêtre ne le remplace, une fois le mariage devenu sacrement.
À partir du XIIe siècle, on trouve trace d’un rituel nuptial complémentaire se déroulant à l’intérieur de l’église et prenant place à la fin de la messe. À proximité d’un autel, l’officiant bénit les mariés agenouillés en récitant un texte de la Bible ouverte sur l’autel, tandis que deux assistants tendent une étoffe blanche au-dessus du couple. Cette habitude semble être tombée en désuétude à la fin du Moyen Âge dans les milieux princiers mais être restée en usage ailleurs.
Le mariage n’est pas que chose privée, mais aussi sacrement de l’Eglise et institution sociale. Les entraves à ses règles constituent donc aussi des outrages condamnés par la société, qui prend en charge les châtiments consécutifs. Il en va ainsi de l’adultère, qui doit être connu de tous. C’est ce dont témoigne une miniature des Coutumes d’Agen (F°39v), dans laquelle le couple adultère est exhibé nu, défilant dans les rues de la ville, soumis aux invectives et aux dérisions de la foule.
Les représentations de la mort au cours du haut Moyen Âge semblent traduire une perception sereine de ce long sommeil préparant à la résurrection. C’est à partir du XIIe siècle que se dessine une vision plus dramatique, plus individuelle et plus immédiate du trépas et du jugement. Cette tendance va s’accentuant à la fin du Moyen Âge, dans la multiplication des thèmes macabres et des cérémonies funéraires, dans les images de cor
Ainsi, on ne s’étonnera pas de trouver l’essentiel des miniatures se rapportant à la mort, dans les manuscrits du catalogue postérieurs au XIIe siècle. Certains épisodes du Nouveau Testament fournissent une première catégorie d’images canoniques, la Crucifixion et la Dormition, qui illustrent la mort du Christ et celle de la Vierge, et le Jugement dernier. À bien y regarder, dans le premier cas il s’agit plus précisément de l’image du sacrifice, de la réalité de la mort et des souffrances du corps qui précèdent le trépas. Le Christ meurt sur la croix pour racheter les péchés de l’humanité, en prévision du Jugement dernier. Dans le second cas, il s’agit de l’illustration du moment qui succède au trépas ainsi que de la commémoration du défunt. Le Jugement Dernier, quant à lui, annonce la fin des temps et la résurrection des morts ainsi que leur jugement par Dieu lors de la Parousie. Il induit une mort conçue comme un long sommeil et promeut le culte des défunts en préparation du Jugement.
Mais, on s’aperçoit qu’au delà de la mort elle-même et des souffrances du trépas, nombre de ces images évoquent les morts. Par effet miroir, elles témoignent donc surtout des vivants et de la vie. Le culte des morts, leur commémoration revient à constituer un échange constant entre les vivants et les morts, à tisser des liens entre le monde d’ici-bas et l’au-delà.
À partir du XIIIe siècle, à côté des représentations sans complaisance de la réalité de la mort, l’enluminure illustre certains thèmes littéraires et moraux tels que le Dit des trois morts et des trois vifs ou les danses macabres. Sur le mode du Memento mori, cette imagerie moralisante encourage les lecteurs à se souvenir de la vanité de leur existence terrestre, quelle que soit leur condition, au regard du jugement divin. On y trouve représentés des vivants confrontés à la fréquentation de la mort ; une mort personnifiée, qui paraît sous forme de squelettes ou sous les traits de transis (cadavres montrant les premiers signes de la putréfaction). Cette iconographie, très présente dans les manuscrits de dévotion privée, prépare les vivants à la mort et traduit les préoccupations individuelles d’une société de la fin du Moyen Âge soucieuse de son salut.
La confrontation avec la mort passe aussi par la préparation matérielle de sa propre mort et la mise en ordre de ses affaires au profit de ses héritiers. C’est ce sur quoi insistent deux miniatures des Coutumes d’Agen. Ici, c’est la réalité quotidienne de la mort qui est donnée à voir au lecteur. Dans un cas, le mourant est allongé dans son lit où il rédige son testament. Dans l’autre cas, un homme moins avisé ou pris par surprise par la mort gît sur son lit sans avoir testé, plaçant sa veuve dans l’embarras.
La fréquentation des morts passe aussi par leur culte. Le rite funèbre tout d’abord se déroule en plusieurs étapes. À sa mort, le défunt bénéficie de rites funéraires domestiques. Cousu dans son linceul (drap de son lit), il est ensuite transporté sur un brancard dans une procession qui le conduit de sa demeure à l’église, où se déroule la célébration funèbre. Puis, à la suite de l’Office des morts, le cortège funéraire gagne le cimetière où une dernière bénédiction, l’absoute (prières récitées par le clergé autour du cercueil), est donnée au défunt.
Le corps du défunt est inhumé à même la terre ou dans un cercueil, couché sur le dos, face tournée vers le ciel, la tête posée sur un oreiller. Son costume dépend de son statut. On distingue les inhumations habillées (gens d’Eglise, nobles ayant pris l’habit avant de mourir, princes rois, gens riches), des inhumations de l’homme ordinaire qui reposait nu sous son linceul. En pratique, encore au XIIIe siècle, le simple laïc emporte parfois dans sa tombe quelques objets profanes.
La commémoration des morts, à travers leur dépouille, est ensuite assurée par les familles elles-mêmes et par les communautés religieuses à la demande des familles aisées. La date de la mort, tient lieu de date anniversaire ; elle figure dans l’obituaire, livre d’enregistrement des morts.
Au Moyen Âge, le droit commun était défini par le droit romain, mais à côté de celui-ci, il existait un droit coutumier local. Dans certaines parties du Sud-Ouest, nombre de villes possédaient leurs chartes de libertés, qui définissaient ce droit coutumier. Leur objet principal était la bonne administration de la communauté. Aussi prévoyaient-elles le règlement des relations juridiques avec le seigneur et l’organisation du gouvernement municipal. Mais, elles traitaient également des questions judiciaires et, pour une part des règles de droit privé.
Les chartes d’affranchissement avaient pour fonction de reconnaître à des populations émancipées du servage la jouissance de droits civils (se marier, tester, entrer dans les ordres). Les autres chartes avaient pour objectif d’entériner et de réglementer des droits accordés depuis longtemps. Mais toutes passaient sous silence ce qui leur paraissait suffisamment garanti par l’usage ou par les mœurs publiques, ce qui était plus largement défini par le droit commun.
Les chartes municipales avaient une influence exclusivement locale ; dans toutes les villes qui en possédaient, le droit romain leur cédait le pas. Parfois certaines coutumes pouvaient avoir une envergure plus vaste que celle d’un cadre strictement local, dans le sens où, particulièrement complètes ou éprouvées par un long usage, elles constituaient des références pour les coutumes d’autres bastides ou villes.
Au XIIIe siècle, la coutume d’Agen, embrassant le droit municipal, le droit féodal, le droit civil et le droit criminel, joua ce rôle de « coutume type » en Agenais. Les coutumes de La Sauvetat, de Gontaud, de Valence, de Larroque-Timbaud, de Villefranche de Belvès s’y réfèrent en matière de droit successoral. La charte de Lamontjoye suit la coutume d’Agen pour les poids et mesures, les impôts, la dot, les successions, les testaments, la vente forcée des immeubles, l’ost, et pour le droit municipal. La coutume de Nérac renvoie expressément à celle d’Agen pour toutes les questions qu’elle ne tranche pas. Pour ces raisons, la coutume d’Agen sera notre guide pour comprendre une part du quotidien des aquitains au Moyen Âge.
La coutume d’Agen nous est parvenue au travers de plusieurs manuscrits, dont le Livre juratoire, qui offre la particularité d’être abondamment illustré. Chaque chapitre y est enrichi d’une lettrine ou d’une vignette. Ces miniatures, pour la plupart, illustrent de façon synthétique le contenu détaillé de chaque chapitre.
Outre le fait d’être l’enregistrement écrit de la coutume d’Agen, ce manuscrit est aussi un livre juratoire. En d’autres termes, il servait aux prestations de serment de chaque nouveau seigneur d’Agen (comte et évêque), des membres du Conseil d’Agen, des nouveaux citoyens de la ville et des personnages de passage en Agenais ; tous devaient prêter serment à la coutume, jurant ainsi de respecter les règlements établis et enregistrés dans ce manuscrit. La prestation de serment se pratiquait sur le Livre juratoire, ouvert aux feuillets portant les miniatures pleine-page du Christ en gloire et de la Vierge à l’Enfant. Cette pratique, qui a perduré au-delà du Moyen Âge, explique l’état de dégradation avancé desdites miniatures et, plus généralement, la salissure de ces deux feuillets.
Le manuscrit contient des adjonctions modernes qui seront passées sous silence ici. À la suite de l’une d’elles, le manuscrit débute par une table des matières qui annonce 42 chapitres. À la lecture, on s’aperçoit que ces chapitres sont plus nombreux, puisqu’on en compte 57 qui traitent tant de l’organisation politique de la ville et des droits et devoirs de chacun relevant de la coutume, que des règlements propres à l’organisation sociale, aux affaires judiciaires, aux taxes, au commerce, au droit privé… La table des matières s’ouvre sur une grande lettrine L accompagnée d’une vignette où est représenté un scribe au travail, rédigeant la coutume sous la dictée de deux personnages debout devant lui.
À la suite de la table des matières figurent les deux feuillets juratoires, qui portent les miniatures pleine-page servant aux prestations de serment. Puis, prennent place des extraits de chacun des quatre Evangiles. En tête de chaque texte, une miniature montre l’évangéliste correspondant, à son pupitre, occupé à rédiger son texte. Assis sous un dais architecturé, chacun d’eux est représenté sur un fond de motifs géométriques, entouré par des arbres et accompagné de son symbole : l’aigle pour Jean, le taureau ailé de Luc, l’ange pour Mathieu et le lion ailé de Marc.
Vient ensuite un court prologue à la coutume, puis la coutume proprement dite, c’est-à-dire, l’ensemble des chapitres qui la composent et que nous allons suivre par thématiques. Le prologue est précédé d’une vignette représentant la Trinité sous un dais architecturé ; le Père et le Fils sont assis, une main levée et l’autre tenant le Livre. Entre eux, descend du ciel la colombe de l’Esprit saint. Complément des feuillets juratoires et des extraits des Evangiles, cette image achève de placer la coutume et le respect de ses règlements sous la protection et l’autorité divines.
Depuis le début du XIIIe siècle, la ville d’Agen est placée sous la suzeraineté de deux seigneurs aux droits sensiblement égaux : le comte de Toulouse et l’évêque. Du premier dépend la justice féodale, tandis que des deux dépend la justice ordinaire. Ils forment ainsi un tribunal mixte.
Le prologue de la coutume rappelle que si la coutume est accordée, consentie à la ville par le comte, ce dernier ne peut trancher au sujet de l’interprétation de la coutume dans le cas d’un litige qui l’opposerait avec un Agenais. Cette charge revient aux consuls.
Dès son entrée en charge, le comte doit prêter serment aux consuls sur le Livre juratoire. Il jure ainsi de respecter les droits et coutumes de la ville d’Agen. En retour, à leur tour, les consuls jurent fidélité au comte.
Le comte perçoit des droits fiscaux. Tailles et impôts sont répartis sur l’ensemble des bourgeois d’Agen, chacun contribuant selon sa fortune. Les autres droits accordés au comte, sur le sel, sur les moulins, sur le blé, les péages, sont réglementés par la coutume. Les articles 3 et 4 traitent respectivement du sel et du blé ; les images qui les accompagnent illustrent le transport de ces denrées.
L’article 2 précise que les Agenais doivent au comte un service d’ost (service militaire), qui ne peut excéder 40 jours par an. Sont concernés les maîtres de maison, qui peuvent néanmoins se faire représenter par une autre personne, apte au service militaire et de leur famille (fils, frère, neveu, cousin germain). Les veufs, les orphelins, les hommes âgés de plus de 70 ans, les pèlerins, les malades, les marchands agenais en voyage sont certains des cas prévus dispensant du devoir d’ost. Tout défaut à ce devoir engendre une amende de 65 sous.
La coutume prévoit toutefois que le comte doit indiquer aux consuls contre qui il compte user de la force militaire. Si celui-ci habite le diocèse, alors les consuls doivent tenter une conciliation préalablement au départ de l’ost ; en cas d’acceptation de cet arbitrage, les Agenais sont libérés de leur devoir d’ost. Par ailleurs, si la ville préfère se libérer de ce service lourd, elle doit s’acquitter du paiement au comte de 40 sous par homme.
Le comte est représenté dans la ville par un sénéchal qui administre pour lui le comté et veille au respect de ses droits. Aussi dirige-t-il tous les agents du comte (percepteurs, sergents, fermiers des péages, etc.). Il perçoit ses revenus et fait exécuter les jugements prononcés par le tribunal mixte. Il représente le comte à la tête de l’ost et le remplace dans l’administration de la justice. Pour le seconder, il peut nommer un baile. Tous deux doivent prêter serment aux consuls qui, à leur tour, prêtent serment au sénéchal uniquement, tel qu’indiqué à l’article 1 de la coutume.
L’évêque est un vassal du comte. Il partage avec lui le pouvoir judiciaire et jouit de la moitié des amendes, confiscations et autres droits provenant de la justice. Il possède le monopole de la monnaie et frappe ainsi sa propre monnaie.
Sa charge ecclésiastique lui vaut en outre de percevoir des dîmes. Il a le droit de gite dans les établissements religieux du diocèse, hérite des clercs morts intestat et bénéficie des cures vacantes. Il perçoit encore plusieurs droits inhérents à sa charge.
Le jurade est le conseil de la ville, composé de douze consuls, assistés par les prud’hommes et vingt-quatre jurats. Les consuls sont élus par leurs prédécesseurs chaque année, parmi les bourgeois majeurs, fils légitimes et catholiques, à l’exclusion des hérétiques, fils et frères d’hérétiques, usuriers, personnes ayant été condamnées à des peines infamantes (pilori, etc.). Les conditions d’éligibilité sont rappelées dans l’article 52 de la coutume. Chaque consul exerce les fonctions de maire un mois par an. Pendant cette période, il expédie les affaires courantes, préside la jurade et signe le premier les chartes et procès-verbaux. Il reste donc un consul parmi d’autres, sans prérogatives personnelles.
Chaque rue et chaque quartier doivent être représentés dans la jurade. Pour cela, des jurats sont élus en même temps que les consuls ; ils sont choisis parmi les anciens consuls et n’ont qu’une voix consultative. Chaque quartier est alors représenté par deux jurats et un consul.
L’article 52 et la vignette de l’article 2 traduisent la fonction militaire du consulat. Les consuls étaient, en effet, chefs de la milice communale. Quand l’ost sortait, il était commandé par quatre consuls à qui la commune devait fournir des montures pour eux et pour leurs bagages. Ils étaient accompagnés par le porte-étendard et par deux trompettes. Dans ce même registre militaire, les consuls avaient la charge d’entretenir les murailles de la ville, d’organiser la milice communale, la surveillance du dépôt d’armes communal et l’approvisionnement de la ville en munitions.
En charge du maintien du bon ordre dans la cité, les consuls ont aussi à gérer les finances et les revenus de la commune. Beaucoup de dépenses sont induites par le traitement des agents communaux, la police, les emprunts. D’autres sont absorbées par les tailles et impôts payables au comte et à l’évêque. En contrepartie la commune percevait les impôts sur la fortune levés sur les bourgeois, mais aussi les revenus issus du fermage de la pêche dans la Garonne, des halles, des droits de place, du greffe et du poids de la ville, d’octroi perçus aux portes de la ville, etc.
Les consuls ont aussi des compétences judiciaires. Juges uniques au criminel, ils sont juges également dans certaines causes civiles et partagent ainsi avec le comte un droit qui est un des caractères forts du pouvoir seigneurial. Concernant les causes criminelles, il existe un seul tribunal, composé des consuls et présidé par les bailes du comte et de l’évêque, qui ne participent pas à la procédure et sont uniquement présents pour percevoir les droits pécuniaires de leur seigneur résultant du procès. Concernant les causes civiles, le tribunal mixte du comte et de l’évêque est la juridiction compétente, mais le tribunal municipal peut aussi être saisi.
Initialement, les notaires étaient des clercs employés comme secrétaires et greffiers des seigneurs. Les communes eurent aussi besoin de recourir à leurs services pour des prérogatives semblables (rédaction des chartes, apposition de sceaux sur les actes, etc.). En tant que secrétaires, ils se tiennent à la disposition des consuls et produisent tous les écrits que nécessite l’administration communale, à l’instar de la rédaction de la coutume. En tant que notaires, ils produisent chartes, actes, testaments, dont l’autorité est absolue.
Les notaires doivent être enfants légitimes et savoir écrire les chartes en latin et en langue vernaculaire. Nommés par les consuls, ils sont à la disposition de ces derniers sans être rémunérés pour cela. Toutefois, ils bénéficient d’une exemption des impôts communaux et du service d’ost (article 49). La prestation de serment du notaire aux consuls est représentée dans la lettrine qui débute cet article.
L’article 50 détaille les obligations des notaires et fixe les tarifs correspondant à leur travail. Ils doivent se rendre disponibles à toute heure du jour ou de la nuit pour faire testament d’un malade qui les aurait envoyés quérir, sous peine de se voir retirer leur qualité de notaire. Ils ne doivent pas produire d’acte hors de la ville, si ce n’est pour un habitant d’Agen et seulement avec le consentement préalable des consuls.
À Agen, les obligations d’une personne envers une autre peuvent se prouver de deux façons : par témoins ou par acte public. Le choix de ce second mode de preuve était le plus usité à en juger par la part importante donnée dans la coutume au tarif des actes notariés correspondants. Toutes sortes de contrats sont prévues (transports de vin ou d’autres denrées, chartes de constitution de société ou de dépôt, contrats réglant la construction d’une maison, etc.), qui sont rédigés par les notaires.
La coutume distingue plusieurs types de catégories sociales. Les bourgeois constituent la majorité des citoyens d’Agen. Ils constituent une classe libre, pour qui fut écrite la coutume d’Agen. Parmi eux, les ciutadas habitent en ville, tandis que les borzes habitent hors les murs de la ville, dans les bourgs. Tous ont les mêmes droits et les mêmes charges.
Si l’on peut naître bourgeois, les articles 33 et 52 de la coutume prévoient aussi qu’on peut le devenir. Pour cela, il faut être bon catholique, avoir abjuré toutes les hérésies, promettre d’accepter la juridiction des consuls, être propriétaire d’un fonds (maison, vigne, terre) dans l’année qui suit.
En retour de ces obligations, les articles 28 et 32 notamment fixent les libertés des bourgeois. Trois d’entre elles ont une importance particulière pour eux : liberté de se marier, de vendre et de tester, sans autorisation du seigneur. Ces privilèges consacrent l’affranchissement des bourgeois agenais, leur liberté. Par ailleurs, ils ne peuvent être pris en otage par le comte, ni ne peuvent être saisis par lui si ce n’est en vertu d’un jugement des consuls d’Agen. Ils bénéficient d’exemptions et de droits spéciaux concernant le paiement des péages. Ils jouissent de droits importants sur leurs terres. Ils ne peuvent être jugés que chez eux au criminel et peuvent l’être au civil par les consuls, s’ils le souhaitent.
Les forains, habitants des paroisses voisines, contribuent aux impôts d’Agen en échange du bénéfice des privilèges accordés aux bourgeois agenais (article 33). Les contrats liant Agen à chacune des paroisses induisent des droits et des devoirs propres à chaque situation.
Entrer dans la ville d’Agen rend libre. Ainsi, les étrangers arrivant à Agen étaient libres quelle que fût leur condition primitive. Ils étaient alors placés sous la protection des consuls et étaient libres d’exercer leurs droits par ailleurs ; ils étaient aussi exempts de service d’ost et d’impôts pendant un an et un jour. Ils ne pouvaient être retenus par leur seigneur de fief et s’il s’agissait d’un serf, son seigneur ne pouvait le saisir tant qu’il était dans la ville.
La puissance paternelle est considérable ; le père est le maître dans sa maison. Ainsi, sur le moindre soupçon, il peut battre sa femme et ses enfants, ceux de ses serviteurs soupçonnés de vol ou d’une faute, sans qu’aucun recours puisse être intenté contre lui. En contrepartie, il est responsable des actes délictueux commis par les membres de sa famille ; c’est à lui qu’on s’adresse pour obtenir réparation au civil d’un crime ou d’un délit. Mais, il a la possibilité de se dégager de cette responsabilité en faisant abandon du coupable, comme décrit dans la miniature de l’article 22.
Les femmes mariées peuvent administrer leurs biens en concurrence avec leur mari. Lorsque celui-ci aliène un immeuble sans son consentement, pendant les trente années qui suivent la dissolution du mariage (c’est-à-dire la mort du mari), la femme peut réclamer le bien aliéné. Les veuves peuvent tester librement concernant leur biens propres uniquement ; les biens de lignée doivent, selon la coutume, revenir aux héritiers de la ligne généalogique.
En terme de succession, le droit coutumier d’Agen est le même pour les bourgeois et pour les étrangers. L’article 34 détaille, précise et affirme le droit des Agenais à disposer de leurs biens par testament. La capacité de disposer de ses biens librement est soumise à la majorité : quatorze ans pour les garçons, douze ans pour les filles. La validité d’un testament est soumise uniquement à la présence de plusieurs témoins, mais la rédaction devait être exécutée par un notaire.
La coutume distingue deux sortes de biens : les acquêts et les biens de lignée (ou propres). Les premiers sont libres de transmission, tandis que les seconds sont transmissibles uniquement aux héritiers de la lignée. À Agen, la coutume ne donne aucune préférence à la branche paternelle ; l’héritier le plus proche dans chaque ligne prend les biens qui ont été transmis par cette ligne. Un quart de la valeur de ces biens de lignée reste néanmoins laissée libre au choix du testateur et, si celui-ci n’a pas d’enfant, il peut léguer l’ensemble de ses biens à l’Eglise. S’il a des enfants, il peut choisir de favoriser l’un ou certains d’entre eux.
Les filles dotées sont exclues du partage de la succession. En quelque sorte, leur part leur a déjà été donnée par le biais de la dot. Ceci induit que si les petits-enfants peuvent prétendre représenter la part de leur auteur sur un héritage, en revanche cette règle ne s’applique pas aux enfants d’une femme dotée. Dans le cas de secondes noces, les enfants du second lit peuvent avoir un droit exclusif sur la dot de leur mère si et seulement si cette dernière a préalablement donné pleins pouvoirs à son second mari sur sa dot.
À Agen, un défunt intestat dont on ne connaît pas de parents, voit ses biens meubles et immeubles mis sous séquestres pendant un an et un jour. Passé ce délai, les tenures retournent au seigneur dont le mort dépendait et les meubles vont au comte. Si un parent se fait connaître par la suite, ses biens doivent lui être restitués. Dans le cas où des parents sont connus à la mort du défunt, alors les lignagers prennent de plein droit les biens de lignée.
Les termes régissant la location d’une maison sont fixés par l’article 30 de la coutume. Un bourgeois d’Agen est libre de choisir son locataire. La location doit avoir un délai déterminé, période pendant laquelle le locataire ne peut être chassé, sous réserve du paiement de son loyer. Toutefois, le propriétaire peut reprendre sa maison, en cas de besoin pour lui ou pour y mettre ses affaires et à condition de prévenir son locataire huit jours auparavant. Il doit jurer que c’est bien pour lui qu’il reprend la maison et qu’il la gardera pendant le temps qui restait à courir avant la fin du bail.
À la fin d’un bail, si le locataire souhaite quitter la maison, il doit en avertir le propriétaire huit jours auparavant et avoir déménagé au plus tard le dernier jour du bail. Dans le cas contraire, le bail est reconduit tacitement pour la même durée.
Si un locataire ne paie pas régulièrement son loyer, le maître de maison peut le chasser et garder ses meubles. Concernant les réparations nécessaires, le montant de celles consenties par le propriétaire et payées par le locataire est alors déduit du loyer.
Le premier moment de la procédure est l’enquête. Elle est obligatoire et permet de définir la juridiction compétente (tribunal mixte ou tribunal des consuls). Lorsqu’un bourgeois d’Agen pense avoir à se plaindre d’un de ses concitoyens, il va le trouver, accompagné de témoins bourgeois, et lui expose sa demande. Si le défendeur prend condamnation, le procès n’a pas lieu, mais s’il conteste l’accusation, il doit alors choisir la juridiction qui règlera le conflit. Dans le cas du tribunal mixte, le demandeur doit déposer plainte (« claim ») pour que le défendeur soit ensuite averti (ajournement) de vive voix par les sergents du seigneur.
Les parties doivent alors comparaître au plus tôt, quelle que soit la juridiction compétente. L’absence du demandeur au procès implique pour lui la perte de son action. L’absence du défendeur, dans le cas de la juridiction des consuls, permet au demandeur de porter l’affaire devant le seigneur (tribunal mixte). Alors, si le défendeur ne se présente pas à son procès, il le perd. Le défaillant, demandeur ou défendeur, doit rembourser à l’autre partie ses dépenses engagées pour le procès ainsi que cinq sous d’amende au seigneur.
On nomme « exceptions », les délais donnés à chacune des parties pour préparer le procès, pour répondre aux accusations et à la défense de l’autre. Il en existe plusieurs. Le jour de conseil est un délai de huit jours permettant au défendeur de réfléchir et de demander conseil. Un délai équivalent est accordé au demandeur pour préparer sa riposte. Le jour d’avocat est un délai de huit jours donné au défendeur pour trouver un avocat s’il ne peut assurer seul sa défense. Huit autres jours lui sont offerts pour appeler ses garants ; en retour, le demandeur a huit jours par garant pour préparer sa réponse.
Une fois toutes les exceptions invoquées par le défendeur, le plaid peut débuter. Si le défendeur ne reconnaît pas la justesse de l’accusation portée contre lui, les deux parties prêtent alors serment de « calomnie » : ils jurent qu’ils pensent être dans leur bon droit, qu’ils répondront la vérité, ne chercheront pas à corrompre les juges ni n’empêcheront l’autre partie de produire ses preuves. À ce stade, deux possibilités se présentent à eux pour prouver leur bon droit : l’enquête par témoins et la bataille.
L’enquête par témoins est le mode de preuve le plus souvent employé. Si une partie doit prouver contre un bourgeois d’Agen alors les témoins doivent être des bourgeois de la ville. Dans le cas contraire, tous les témoins sont qualifiés. Les témoins convoqués qui refusent de venir au tribunal peuvent y être contraints par le seigneur (saisie de leurs biens).
La procédure étant essentiellement orale et publique, certains témoins pourraient craindre pour leur sécurité de venir témoigner ; pour pallier toute vengeance, les noms des témoins sont gardés secrets et leur déposition est enregistrée par des clercs. Afin d’éviter toute tentative de faux témoignage, la coutume précise que, le cas échéant, la langue de celui qui aura porté faux témoignage sera percée d’une broche de fer et que celui-ci sera promené dans cet état dans toute la ville ; ses biens seront confisqués et il ne pourra plus être témoin.
La bataille est interdite par l’Eglise. Ce mode de preuve est principalement employé en matière de crimes contre l’honneur (trahison, meurtre). Il s’agit d’un duel dont l’issue prend forme dans l’acceptation de la défaite par l’une des parties ou lorsque l’une d’elle succombe. Le perdant, mort ou vif, perd le procès, son cheval est ses armes sont confisqués au profit du seigneur.
La partie perdante d’un procès est condamnée à rembourser les frais engagés par la partie adverse. Le montant en est fixé par la cour, ainsi que l’objet et le montant de la condamnation.
Si le procès s’est tenu devant le tribunal mixte, alors les seigneurs (comte et évêque) peuvent faire exécuter eux-mêmes leurs décisions, par le biais de leurs sergents et, le cas échéant, dans leur prison. Les consuls ont aussi une prison et des officiers de police judiciaire, mais leur pouvoir en la matière est moindre.
Aussi, la coutume précise-t-elle que le seigneur ne pourra toucher l’amende ou les biens confisqués du condamné que lorsque le jugement des consuls sera exécuté. Dans le cas où un bourgeois ne tiendrait pas compte d’une sentence prononcée à son encontre par les consuls, alors ces derniers peuvent, sans aucune contrepartie, porter plainte auprès du baile. Ce dernier exerce ensuite le pouvoir au nom du seigneur ; il peut emprisonner et employer toute contrainte qu’il jugera utile. Cette option assure aux consuls l’application de ses jugements, exécutée par le seigneur.
Toutefois, deux voies d’appel existent, permettant à un condamné de réfuter un jugement du tribunal mixte : l’appel par gages de bataille et l’appel par demande en amendement de jugement. La première voie de recours n’est pas mentionnée dans la coutume. Elle implique que la partie perdante proclame le jugement faux, mauvais et qu’elle est prête à soutenir cette accusation contre le juge, les armes à la main. Le juge concerné doit alors relever le défi. S’il est vaincu, l’appelant triomphe. Dans le cas contraire, l’appelant est généralement pendu ou décapité.
Les conséquences potentiellement dramatiques de ce premier recours ainsi que les grandes chances d’erreur liées à ce jugement par les armes le rendent peu populaire tant auprès des plaideurs que des juges. Aussi, lui est préférée la demande en amendement, qui consiste à attaquer le jugement devant une cour plus haute en lui demandant d’amender la décision attaquée. Dans le cas d’un jugement prononcé par le tribunal mixte, l’appel peut être porté auprès du juge d’appeaux ou auprès d’une juridiction supérieure ou auprès du conseil d’Agen. Soit le jugement attaqué est modifié, soit il est confirmé et le plaignant est condamné à verser cinq sous au juge incriminé.
Ici, la procédure diffère par l’absence d’enquête. Cette formalité, dans la procédure civile, a pour objectif de promouvoir une ultime tentative de conciliation avant le dépôt de la plainte. Dans le cas de la procédure criminelle, l’intérêt général prime sur l’intérêt particulier et il ne faut donner au coupable la possibilité d’échapper au jugement ainsi qu’au châtiment. Ainsi, toutes les exceptions (délais pour préparer sa défense) sont refusées à l’inculpé, sauf celle qui lui permettrait de se procurer des témoins.
Ce type de preuve n’est employé qu’en matière d’adultère. Il faut alors que le fait soit vu par le bailli et au moins deux prud’hommes. Lorsque le coupable s’échappe, même après avoir été surpris en flagrant délit, il ne peut plus être puni pour cette faute. Le droit coutumier porte une haine si grande à l’égard de l’adultère et sa condamnation prévue est si cruelle, que la coutume se prémunit ainsi d’avoir à se prononcer sur de telles accusations.
Sans dénonciateur ni accusateur, la rumeur désigne parfois des auteurs de crimes impunis. Suite au Concile de Latran de 1215, les tribunaux ecclésiastiques avaient mis en place la procédure par inquisition, qui consistait à répondre à la rumeur par une enquête, la recherche de preuves par l’audition de témoins. Cette procédure du droit canonique est appliquée par la coutume d’Agen.
Les consuls et les bailes des seigneurs sont chargés de conduire l’enquête ; les bailes ne peuvent la mettre en œuvre sans les consuls, en revanche, les consuls peuvent agir seuls. Une enquête peut être menée à l’encontre de tout trouble à la paix publique. Le diffamé appelé devant le tribunal est exposé aux témoignages enregistrés contre lui. Par ordre décroissant d’importance, la preuve de culpabilité résulte alors de l’aveu, de présomptions graves ou de dépositions semblables. La question, dont l’usage devient général en matière criminelle au XIVe siècle, n’est pas envisagée dans la coutume d’Agen.
Les consuls ont un droit de justice absolu. D’eux relèvent la haute, la basse et la moyenne justices. Ainsi, ils jugent et condamnent aussi bien les crimes les plus graves (meurtre, adultère, vol), que les délits importants et les contraventions à leurs ordonnances (« établissements ») et aux règlements de la coutume.
L’homicide est le crime le plus grave. Théoriquement, le coupable doit être inhumé vif sous le corps de celui qu’il a assassiné. Pour autant, cette peine barbare ne semble pas avoir été appliquée. Dans la pratique, une peine moins sauvage, telle que la pendaison, semble lui avoir été préférée. L’appréciation des circonstances qui entourent le fait délictueux est donc chose grave. Aussi les consuls sont-ils aidés en la matière par les prud’hommes et les jurisconsultes.
Un bourgeois accusé d’avoir fait couler le sang ou fracturé un membre d’un autre bourgeois est emprisonné par les consuls dans la prison municipale, le temps que le blessé meure ou guérisse. Dans le premier cas, le coupable est condamné pour meurtre et exécuté. Dans le second cas, si de nombreux témoins prouvent le délit, l’inculpé doit payer une amende de 65 sous et des dommages-intérêts à la victime. Celui qui tue par légitime défense n’est pas responsable et ne doit pas être puni.
La coutume distingue deux catégories de vols : ceux pratiqués de jour et ceux pratiqués de nuit. Les seconds sont jugés plus graves et sont donc plus gravement punis. Un bourgeois surprenant un intrus chez lui la nuit doit chercher à s’en saisir sans le blesser ; toutefois, si l’intrus résiste, le maître de maison peut le mettre à mort. Dans ce dernier cas, pour être dégagé de toute responsabilité, le bourgeois doit jurer qu’il a pris ledit individu pour un voleur.
Le voleur nocturne est puni de mort si l’objet volé a une valeur supérieure à vingt sous. Sinon, il est marqué au fer et puni d’une peine accessoire (confiscation des biens). S’il s’avère que le coupable porte déjà une telle marque (« senhal ») et qu’il est donc récidiviste, il doit alors être pendu.
Dans le cas d’un vol diurne, le voleur est marqué et ses biens confisqués. En cas de récidive constatée par la présence d’une marque antérieure, il doit là aussi être exécuté. On fait toutefois une exception pour les biens dérobés d’une valeur inférieure à vingt sous.
Ce crime est puni par la coutume d’Agen comme dans nombre de coutumes du Midi. Les coupables, pris en flagrant délit, sont condamnés à une peine honteuse et diffamante : ils doivent parcourir la ville au son des trompettes, nus et attachés l’un à l’autre par une corde reliant leurs parties intimes. Cette peine semble néanmoins avoir été rarement appliquée, la preuve de la faute étant elle même très difficile à produire.
Les consuls veillent au respect de la conformité des poids et mesures. Les étalons sont déposés dans la maison commune. Les gardes des marchés exercent cette surveillance pour eux ; ils sont chargés de saisir également les denrées douteuses. Les poids et mesures non conformes aux étalons sont brisés et le contrevenant doit payer une amende de 65 sous au seigneur.
Les contrevenants sont condamnés à une amende proportionnée à la gravité de l’infraction. Cette amende est fixée par les consuls avec le concours des prud’hommes. Toutefois, la coutume prévoit des traitements plus durs concernant certaines activités répréhensibles. Il va ainsi notamment des activités liées à la production et au commerce du vin ou au droit de pêche sur la Garonne, qui constituent parmi les plus importants revenus de la commune. La délation est encouragée concernant les infractions liées au vin. La procédure de répression des délits de pêche revient au garde-pêche, dont la déposition fait foi.
La naissance des armoiries s’inscrit dans le contexte militaire des années 1125-1175. L’évolution de l’équipement des combattants les avait alors rendus méconnaissables, derrière leur hauberts et leurs heaumes. Ainsi on inventa de nouveaux signes de reconnaissance, propres à chacun d’eux et codifiés qu’il firent peindre sur leur bouclier.
Pour composer les armoiries, il fallait un répertoire de formes et de couleurs, mais aussi des règles de construction. Pour les décrire, il fallait un vocabulaire technique. Enfin, pour en régir le bon usage, il fallait un code, une grammaire. Ces fonctions furent remplies par ce que l’on nomme le blason.
Une armoirie se compose d’un écu sur lequel sont juxtaposées ou superposées des couleurs et des figures. Elle se lit du fond vers la figure la plus proche : un écu rouge portant un lion jaune se lira de gueules au lion d’or. Divers éléments extérieurs, facultatifs, peuvent enrichir ce modèle.
L’écu désigne la surface géométrique des armoiries qui accueille les couleurs et les figures. Sa forme est dépourvue de tout rôle symbolique, emblématique ou de toute signification sociale ; son évolution formelle a suivi celle des boucliers ainsi que la fantaisie de chaque époque. En France, au XIIIe- XIVe siècle, se diffusa la forme, qui allait devenir classique, de l’écu en triangle isocèle représenté la pointe en bas, aux côtés droits et légèrement incurvés vers la pointe. Puis, à partir du XVe siècle, l’écu scutiforme, avec ses côtés droits et sa pointe en accolade, le remplaça dans tout l’Occident.
Les couleurs employées portent le nom d’émaux et sont au nombre de sept. Elles ne présentent aucune nuance et se répartissent en deux grandes familles : métaux (or (jaune) et argent (blanc)) et couleurs proprement dites (gueules (rouge), azur (bleu), sable (noir), sinople (vert) et pourpre (violet)). Pour une meilleure visibilité, il est interdit de superposer ou de juxtaposer deux émaux du même groupe, par exemple or et argent ou gueules et azur.
Les figures présentent un répertoire ouvert dont l’usage est facultatif. Elles sont divisées en deux groupes : les pièces et partitions (obtenues par divisions géométriques de l’écu) et les meubles (objets, animaux, végétaux…).
La règle d’usage des armoiries ne fixe pas de limites sociales à la capacité héraldique. Fondée sur le principe de libre adoption et du libre port des armoiries, cette dernière appartient depuis l’origine à l’ensemble de la société. La seule limite réside dans l’interdiction d’employer des armoiries appartenant à autrui.
À partir des années 1180 et jusqu’au premier quart du XIVe siècle, dans toute l’Europe occidentale, l’emploi des armoiries gagna l’ensemble de la société médiévale. Cette extension d’usage gagna d’abord les dynastes et les grands personnages pour ensuite, dans le deuxième quart du XIIIe siècle, s’étendre à toute la société. Les bourgeois et les gens de métier composèrent parfois leurs armoiries en fonction de leur activité, choisissant comme meubles leurs outils de travail.
Au cours de cette période, le répertoire des formes s’enrichit donc, tandis que le statut des armoiries évolua ; ces signatures individuelles, devinrent transmissibles et de plus en plus attachées aux familles. Les fils et les filles eurent la possibilité de prendre, outre leurs propres armoiries, celles de leurs pères, les femmes celles de leur père ou de leur mari. Partant, plusieurs membres d’une même famille auraient pu porter les mêmes armoiries, rompant ainsi avec la règle fondamentale du blason et avec la raison même de leur existence. Afin de garder le caractère individuel des armoiries, il fallut donc créer des aménagements au blason. L’emploi d’armoiries familiales poussa, par exemple, à la création de brisures, figures venant en surcharge des armoiries familiales et permettant de déterminer le rang du propriétaire d’un écu armorié dans une fratrie ou plus largement dans une famille. Généralement, elles se complexifient à mesure que l’on s’éloigne de la première place dans cette hiérarchie. Ainsi, l’aîné, en tant que chef d’armes, hérite des armes pleines de la famille quand ses cadets, par ordre de primogéniture, brisent celles-ci de manière de plus en plus significative.
Toujours au cours du XIIIe siècle, les armoiries commencèrent à porter la trace des alliances familiales et professionnelles. Les couples firent ainsi figurer les armoiries des deux familles sur un même écu. Les membres du clergé associèrent leurs armoiries familiales aux emblèmes de leurs charges. Les vassaux prirent parfois celles de leur suzerain. Les communautés religieuses ou civiles (corporations, villes) créèrent leurs armoiries. Les paysans utilisèrent les leurs comme marques de propriété. Désormais, les armoiries étaient employées à la fois comme signes d’identité, signatures, marques de possession et ornements décoratifs. Les écus armoriés firent ainsi partie intégrante du décor des édifices, qu’il soit peint ou sculpté et se retrouvèrent également employées sur les objets du quotidien, dans l’orfèvrerie, sur les costumes, les livres.
Les armoiries sont avant tout des images qui témoignent d’une identité. En ce sens, apposées au sein d’un manuscrit, elles peuvent jouer le rôle de signatures ou de marques de propriété. On les trouve ainsi employées sur divers supports et objets, éléments de mobilier, etc. Elles peuvent alors désigner le commanditaire de l’œuvre, son récipiendaire, voire certains de ses possesseurs successifs. Dans ce dernier cas, on observe deux pratiques : juxtaposition et superposition des armoiries. La juxtaposition consiste à intégrer les armoiries du nouveau propriétaire au sein de la mise en page de sorte que celles des anciens propriétaires restent visibles. La superposition consiste à remplacer les armoiries d’un propriétaire antérieur par celles d’un nouveau. Dans ce dernier cas, la volonté de s’attacher la propriété d’un manuscrit est plus évidente. C’est ce que l’on observe au bas du F°1 du Pontifical à l’usage de Périgueux (Ms 0171 Pe´rigueux) présent dans le catalogue ; les premières armoiries ont été remplacées par surcharge, mais restent visibles par transparence au verso du feuillet. Dans la miniature, on retrouve les anciennes armoiries, sur la draperie du prie-Dieu.
Ces armoiries figurent alors de préférence dans des feuillets qui souligneront la qualité du possesseur ou qui rendront plus particulièrement visible son image. On les trouvera ainsi par exemple au début d’un texte majeur ou au sein d’un calendrier, le mois de la fête du saint patron du possesseur. Elles figurent, pour l’essentiel, dans les marges, sur des écus intégrés au décor feuillagé, isolés dans des médaillons ou portés par des personnages. Ailleurs, les écus armoriés permettant d’identifier un possesseur du manuscrit figurent parfois au sein même des miniatures. On les trouve alors sur des éléments du mobilier, comme des draperies, ou sur le costume.
Mais, en tant que marques d’identité, les armoiries peuvent aussi servir à désigner tel ou tel autre personnage au sein de l’iconographie, participant ainsi à éclairer le lecteur sur le sens de la miniature et éventuellement du texte qui lui est associé. Alors, elles ne se juxtaposent pas simplement au contenu du récit relaté dans le manuscrit, mais s’y inscrivent pleinement. Dans ce cas, elles figurent au sein des miniatures, plus rarement en marge, où elles permettent par exemple de distinguer deux camps dans une scène de bataille, renouant ainsi avec leur fonction originelle. Les armoiries figurent alors sur les écus, les tabards, les étendards… On les trouve aussi sur les besaces des messagers. Ailleurs, elles figurent sur le costume de certains protagonistes, laïcs ou religieux.
Certains manuscrits du catalogue appartiennent à une catégorie particulière, qui traite spécifiquement des armoiries. Il s’agit des « armoriaux ». L’héraldique occidentale étant alors organisée, à partir des années 1320 et jusqu’aux environs du milieu du XVIe siècle, de nouveaux acteurs, les hérauts d’armes, entrèrent en scène pour veiller au respect de ses règles. Spécialistes avérés du blason, ils en enrichirent la langue selon les besoins et compilèrent ces armoriaux. La fabrique et l’usage de ces manuscrits s’amplifièrent à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne, avec la création des ordres de chevalerie et les nouveaux enjeux liés aux armoiries. Ces véritables aides mémoire sont des compilations d’armoiries d’une province, d’un ordre de chevalerie, des royaumes… Ils associent systématiquement l’image de l’armoirie avec le nom de son propriétaire et éventuellement des éléments le concernant.
L’époque moderne modifia considérablement le rapport de la société aux armoiries. Le nouvel ordre politique imposa à l’héraldique des codifications et stylisations qui modifièrent ce langage. Cimiers, devises et autres supports, désormais investis de valeurs sensées traduire la hiérarchie sociale, s’accumulèrent autour des écus, eux-mêmes surchargés au gré des alliances et rendus de fait rapidement illisibles. La fonction première des écus armoriés, qui était de permettre à leur propriétaire de se faire connaître ou reconnaître, semble avoir ainsi disparu lentement au profit d’une esthétisation des formes, elle-même soumise aux besoins d’une société aristocratique de cour, sensible à la représentation de la hiérarchie sociale et à celle de son ancienneté dans cet ordre. Les armoriaux ont alors permis de recenser et de classer une part de la société. Ils servirent alors et servent encore aux historiens, aux archéologues, aux historiens de l’art, aux généalogistes, etc. comme sources privilégiées de leurs recherches.
Née au XIIIe siècle, l’Inquisition ou « Saint-Office » était un tribunal d’Eglise, une juridiction d’exception exercée par des délégués du pape, aux pouvoirs étendus : les inquisiteurs. Son objectif était de réprimer une catégorie particulière de délits, l’hérésie (toute déviation volontaire de la sainte doctrine). Les inquisiteurs jugeaient les hérétiques exclusivement au nom du Souverain Pontife et selon le droit canon.
La procédure inquisitoriale reposait sur des dispositions réglementaires anciennes, instaurées avec le Décret de Gratien au XIIe siècle et ayant progressivement évolué vers des principes juridiques nouveaux : augmentation régulière du pouvoir d’initiative du juge pour lancer une accusation et réglementation plus rigoureuse des pratiques de l’accusation (ordalies, aveu de l’accusé, témoignages fiables).
L’Inquisition s’intégrait au sein d’une Eglise d’Occident réformée qui, depuis le XIIe siècle, avait pris la mesure des déviances de son peuple vis-à-vis du dogme et avait ainsi découvert en son sein une hérésie massive. Avec le grossissement des villes, le développement des universités et des écoles, l’alphabétisation des laïcs, le clergé avait perdu le monopole de la connaissance et les masses laïques s’étaient appropriées une considérable autonomie religieuse, désirant vivre leur foi et allant la chercher parfois dans des doctrines déviantes aux yeux du clergé (manichéisme, valdéisme, etc.). Le XIIe siècle, vit donc un long débat au sein de l’Eglise au sujet de la conduite à tenir pour lutter contre ces doctrines, hésitant entre la prédication et la punition. Dans le nord de l’Europe, les autorités civiles mirent en œuvre la seconde solution, tandis que dans le Midi de la France une ligne plus pacifique fut adoptée vis-à-vis du catharisme.
À partir des années 1180 et jusque dans la seconde moitié du XIIIe siècle, une série de dispositions juridiques furent mises en place visant à punir les hérétiques par le feu, par confiscation des biens et par la torture et à encourager la délation par la confidentialité du nom des témoins. En complément de ces instruments, la procédure judiciaire inquisitoriale se voulait simple, rapide, efficace. Les juges se trouvaient chez les évêques, les légats du Souverain Pontife et au sein des pouvoirs séculiers, certainement les plus violents et dont les choix des victimes relevaient tout autant de considérations politiques que religieuses. À partir du début du XIIIe siècle, le bras séculier, à qui l’Eglise abandonne l’exécution des peines contres les hérétiques condamnés à mort, constitue un appui décisif dans ce dispositif. Entre 1231 et 1232, le pape, chef de la Chrétienté, fit naître l’Inquisition, installant cette juridiction d’exception sous son seul pouvoir souverain et lui assurant efficacité et régularité en nommant des juges permanents, indépendants des droits et usages laïcs et également indépendants des évêques.
Dans le Midi de la France (Languedoc et Provence), l’Inquisition s’installa en terres fraîchement conquises par les puissances séculières du nord. Les barons du nord et le roi de France s’étaient croisés pour y mâter les hérétiques, que ni le clergé local ni les légats du pape ne parvenaient à réduire. L’assassinat d’un d’entre eux, Pierre de Castelnau, en 1208, par les hommes du comte Raymond VI de Toulouse, en représailles de sa récente excommunication, fut le déclencheur de la Croisade dite des Albigeois. À partir de 1212, venus combattre l’hérésie, les croisés en profitèrent pour mettre à genoux les grands féodaux du sud, qui jusqu’ici étaient parvenus à se maintenir indépendants. Le Traité de Paris vint pacifier la situation en 1229.
Dès 1234, l’Inquisition se partagea le territoire en trois tribunaux (Toulouse, Carcassonne, Provence) qui, passant outre les arrangements et protections particulières qui avaient jusqu’ici permis aux hérétiques (cathares et vaudois), présents dans l’ensemble des couches de la société, de pratiquer leurs cultes sereinement, les placèrent désormais dans une insécurité permanente. Malgré des procédures qui font aujourd’hui frémir (cadavres d’hérétiques exhumés et brûlés), dans la seconde moitié du XIIIe siècle, rares furent les condamnations à mort et les peines lourdes sur l’ensemble des sentences des tribunaux inquisitoriaux de cette région. Les juges séculiers furent, en revanche, les responsables des plus importants bûchers de l’époque, avec tout de même une baisse notable dans cette seconde moitié de siècle (140 exécutions à Minerve, 300 à Lavaur, 60 à Casses, entre 1210 et 1211 ; 90 exécutions à Berlaigues, près d’Agen, en 1249, sur ordre de Raimond VII, comte de Toulouse).
L’Inquisition avait été logiquement confiée aux dominicains par le pape, ordre spécialement créé pour ramener le Midi dans le sein de l’Eglise. Si sa présence était mal vécue par ceux qui les premiers devaient en redouter l’action, l’ensemble de la population témoignait plus largement d’une défiance particulière à l’encontre d’une institution symbolisant une occupation mal supportée. Malgré des soulèvements, émeutes et attentats contre l’Inquisition durant toute la seconde moitié du XIIIe siècle, celle-ci finit par réduire à la clandestinité l’hérésie qui, vers 1300, disparut pratiquement des villes. On conserve toutefois dans notre catalogue, sous la plume de Bernard Gui, le souvenir du soulèvement des Albigeois contre les inquisiteurs et l’évêque Bernard de Castanet de 1301 à 1305. Conduits par le franciscain Bernard Délicieux, ils s’étaient alliés les représentants d’autres villes languedociennes engagées dans la même lutte. Ayant d’abord acquis le soutien royal, ils ne furent ensuite que partiellement entendus par le pape, qui orienta son action sur l’examen du comportement de l’évêque.
Les dernières exécutions eurent lieu à la fin du premier quart du XIVe siècle, époque à partir de laquelle l’Inquisition devint un rouage de l’administration ecclésiale. Son tribunal se bureaucratisa. On mit en place des questionnaires stéréotypés pour l’interrogatoire des accusés, on multiplia les manuels, de plus en plus précis : à celui de Raymond Penafort (XIIIe siècle) succèdent ceux de Bernard Gui (début du XIVe siècle) puis de Nicolas Eymerich (XVe siècle). Mais, son action déclina à propos de ses prérogatives fondamentales. Réduite à ne poursuivre que de petites hérésies, de petits groupes, l’Inquisition étendit sa juridiction à d’autres domaines, intégrant désormais le blasphème, la bigamie et la sorcellerie aux manifestations de l’hérésie.
Elle participa ainsi à la naissance du mythe du sabbat, réunion périodique des sorciers et sorcières tenue sous la présidence du diable, pour l’adorer et manger la chair de bébés assassinés par eux. Ce mythe né au XVe siècle vécut jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Les Ms 1184-18 et 1174-38 (Bibliothèque/Médiathèque, Bordeaux) témoignent justement d’un procès conduit par les administrateurs fiscaux de l’Inquisition à l’encontre d’une certaine Anne Marco pour sorcellerie.
Par ailleurs, instrument d’Etat, elle participa à la chute de l’ordre des Templiers, en conduisant l’interrogatoire de ses membres en 1307, puis elle fut chargée notamment du jugement de Jeanne d’Arc, qui aboutit à sa condamnation et son exécution, brûlée comme hérétique « relapse » en 1431.
Née au XIIIe siècle, l’Inquisition ou « Saint-Office » était un tribunal d’Eglise. Juridiction d’exception, elle était exercée par des délégués du pape, aux pouvoirs étendus : les inquisiteurs. Son objectif était de réprimer une catégorie particulière de délits, l’hérésie, autrement dit toute déviation volontaire de la sainte doctrine. Les inquisiteurs jugeaient exclusivement au nom du Souverain Pontife et selon le droit canon, en toute ignorance du droit profane. En Espagne, à partir de la fin du XVe siècle, cette institution prit un tour particulier.
L’Inquisition espagnole naquit en 1478, lorsque le pape Sixte IV autorisa les Rois Catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon à nommer des inquisiteurs dans leurs royaumes ; le mariage des deux souverains, en 1469, avait marqué l’union des deux plus importants royaumes de la péninsule ibérique et assurait la prédominance de l’Inquisition dans un contexte d’expansion territoriale, de conquête et de défense de la foi.
Largement inspirée de son aînée médiévale, l’Inquisition espagnole en reprenait l’objectif - la destruction de l’hérésie - et assez amplement les procédures, l’organisation des tribunaux et instruisait ses juges à la lumière de Bernard Gui et de ses émules. Toutefois, elle tirait son originalité du fait qu’ici elle dépendait non plus uniquement du pape mais aussi du roi et, en réalité, presque exclusivement de ce dernier. En effet, le pape avait délégué ses pouvoirs à un Inquisiteur Général qui était nommé par le roi. Certains de ces Inquisiteurs Généraux sont restés dans l’histoire, parmi lesquels le premier d’entre eux, Torquemada. L’Inquisiteur Général bénéficiait, en outre, de la liberté de subdéléguer ses pouvoirs à des inquisiteurs particuliers qu’il nommait à son gré.
Dans un premier temps, les inquisiteurs étaient pour l’essentiel des théologiens ; par la suite, à partir du XVIe siècle, ils devinrent pour l’essentiel des juristes. L’Inquisiteur Général était secondé par le Conseil de la Suprême Inquisition, qui jouait par ailleurs un rôle politique éminent auprès du souverain. Ainsi, rapidement, l’Inquisition espagnole mena une vie autonome vis-à-vis du pape, tout en sachant recourir à sa haute bienveillance pour s’affranchir de contraintes locales et parfois même s’émanciper de la stricte observance du droit canon.
Instrument de répression de l’hérésie mais aussi instrument politique pour l’Eglise et la Couronne, l’Inquisition espagnole était donc polymorphe. Selon les époques, les circonstances et les territoires, ses actions ont grandement fluctué. L’hérésie elle-même a revêtu, à ses yeux, des natures diverses et ses cibles également.
Du XIe au XIIIe siècle, une tolérance mutuelle avait existé entre les trois grandes composantes religieuses de la société espagnole. Juifs, chrétiens et maures, au sein de chaque royaume de la péninsule, coexistaient dans un subtil équilibre, dont la stabilité reposait sur des logiques militaires et politiques pour l’essentiel.
Au XIVe siècle, la dégradation de cet équilibre interne, conjuguée à la montée générale de l’intolérance confessionnelle et aggravée par une conjoncture néfaste dans l’ensemble de l’Europe (épidémies, famine, conflits armés), conduisit à une situation fort inconfortable pour les maures et plus encore pour les juifs d’Espagne. À la fin du siècle, toutes les grandes villes de la péninsule étaient frappées d’exactions à leur encontre qui, au début du XVe siècle, firent place à des mesures discriminatoires.
D’abord pour échapper à la mort, ensuite pour vivre outre ces mesures, les survivants furent contraints de se convertir. Recouvrant leurs droits et en acquérant de nouveaux, les conversos (juifs convertis, aussi appelés « judéo-convers ») s’intégrèrent plus durablement dans la société catholique d’Espagne, notamment par le biais d’alliances matrimoniales. Désormais, en Aragon, l’ensemble des familles aristocratiques avaient intégré peu ou prou en leur sein ces nouveaux chrétiens et, dans la seconde moitié du XVe siècle, malgré un contexte défavorable, la population était devenue autrement plus composite du point de vue religieux en Espagne que dans tout autre pays d’Europe occidentale.
Aux innombrables descendants de convertis juifs et musulmans (morisques), s’ajoutaient environ cent mille juifs et trois cents mille maures, regroupés pour l’essentiel en trois blocs, en Aragon, à Valence et dans le royaume de Grenade, sur un total de moins de six millions d’habitants. Comme en témoignent partiellement les manuscrits du catalogue, les juifs d’Aragon et de castille, formaient essentiellement une bourgeoisie urbaine, composée d’artisans, de marchands, occupés aux activités financières et commerciales, avec l’exclusivité de certains secteurs scientifiques comme la médecine et pour certains le privilège d’être des agents de l’administration royale, voire des conseillers royaux.
À partir de 1480, l’Inquisition se chargea de réprimer ceux qui n’avaient pas fait le choix de l’exil ou du baptême, conformément aux ordres et édits d’expulsions et autres mesures discriminatoires qui se multiplièrent au cours de cette décennie dans les différents territoires du royaume. Le point d’orgue de cette politique prit certainement forme dans les deux cent cinquante mille conversions et les cent cinquante mille exils consécutifs au seul édit de 1492.
Mais, ces mesures ne réglèrent en rien et aggravèrent même davantage une situation périlleuse pour les nouveaux chrétiens et plus particulièrement pour les conversos. La sincérité de leur conversion, en de telles circonstances, ne pouvait qu’être mise en doute par ceux-là même qui la leur avaient imposée. L’inquisition prit en charge cette question. Le premier autodafé eut lieu à Séville en 1481 et dès lors se multiplièrent les arrestations arbitraires, condamnations du tribunal inquisitorial et autodafés.
La résistance des conversos face à ces actions conduisit, en Aragon, à l’assassinat de l’inquisiteur de Saragosse, Pedro Arbuès, le 15 septembre 1485. Dès lors, entre 1486 et 1503, l’Inquisition aragonaise mit à mal l’emprise sociale et politique des conversos et pourchassa ces derniers, multiplia les autodafés, n’épargnant personne et anéantissant la classe dirigeante, y compris la noblesse, de Saragosse. Le Ms 1172-36 (Bordeaux) et le Ms 1163-27 (Bordeaux), portant respectivement sur le jugement de Petrum Sanchez et de Vidau de Duranso, témoignent de l’assassinat de l’inquisiteur Arbuès et de la volonté du Saint-Office d’en punir les auteurs et leurs collaborateurs.
Dans l’absolu, les objets de poursuites et les cibles de l’Inquisition étaient nombreux et variés. Les « causes de foi » incluaient les délits des nouveaux chrétiens (conversos et morisques) et ceux des chrétiens de longue date, dont la foi et l’attachement à l’Eglise avaient semblé avoir été remis en cause par des usages sociaux, culturels, sexuels malencontreux (paroles hérétiques, blasphèmes, sacrilèges, bigamie, sorcellerie, sodomie, bestialité) ou outrageux dans le cas par exemple des « sollicitants » (confesseurs ayant provoqué, incité, séduit leurs pénitents). À cela, s’ajoutaient les causes criminelles et les tâches relevant de l’expertise des inquisiteurs (enquêtes de pureté de sang, contrôle de la diffusion de l’écrit).
Mais, les manuscrits du catalogue témoignent de la réalité des pratiques inquisitoriales aragonaises propres à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle. Ici, comme ailleurs dans la péninsule, cette période a vu l’activité des tribunaux se concentrer sur les « judaïsants », qui fournirent la presque totalité des accusés connus. Les actes d’accusation portaient sur leur hérésie, voire leur apostasie et la pratique secrète de rites judaïques. Seulement quelques accusations de mahométisme (Ms 1176-39, Bordeaux), quelques occurrences de sorcellerie (Ms 1181-44, Bordeaux), etc. apparaissent en marge.
Quand les inquisiteurs arrivaient dans une ville, les délinquants disposaient d’une « période de grâce » pour se dénoncer spontanément et ainsi être absouts et « réconciliés », c’est-à-dire réintégrés dans le sein de l’Eglise, d’où leur hérésie les avait faits sortir. On se contentait alors de leur imposer quelque pénitence spirituelle. Passé ce délai, l’Inquisition œuvrait avec frénésie.
L’observation du premier temps de l’Inquisition espagnole (fin XVe – début XVIe s.) fait apparaître une cruauté dont l’intensité ne se retrouvera heureusement plus après. Cruauté des peines d’abord, pour quatre types d’hérétiques : les pertinax (qui restent fermes dans leurs erreurs, refusant de se dénoncer en période de grâce ou arrêtés en dehors de cette période), les relaps (antérieurement réconciliés en période de grâce ou non et retombés dans l’hérésie), les suspects en fuite et les suspects défunts. Les pertinax et les relaps étaient « relaxés (brûlés) en personne ». Les deux autres catégories étaient « relaxées en effigie » (Ms 1177-40, Bordeaux). Pour les défunts, on récupérait le cadavre, quand c’était possible, et à défaut on brûlait son effigie, un mannequin.
Dans tous les cas, relaxation et réconciliation s’accompagnaient de la confiscation des biens, comme cela apparaît dans les Ms 1171-35 et 1183-4 (Bordeaux). Dans certaines régions, on estime entre 25 et 40 % la proportion de relaxés en personnes et entre 30 et 60% celle des relaxés en effigie. Les réconciliés et ceux à qui était infligée une pénitence (Ms 1169-33, Bordeaux) pouvaient aller de 15 à 50%.
La cruauté de ces peines peut certes faire frémir par leur nature et par le nombre d’individus concernés, mais également par le peu de cas qui était alors fait des droits des défendeurs. Si les manuscrits du catalogue témoignent d’affaires s’étalant sur des périodes assez longues, le temps manquait parfois aux tribunaux pour étudier la véracité des accusations. On traitait alors les affaires collectivement par groupes de dizaines de personnes. Toutefois, la torture semble avoir été fort peu employée au cours de cette première période. Sa pratique semble avoir été mesurée et exceptionnelle, destinée uniquement à pallier le manque de preuves.
Le texte est présent sous toutes ses espèces dans les manuscrits médiévaux. Dans les plus prestigieux, il se dispose régulièrement selon la réglure et dans une graphie dite « livresque », régulière. Ailleurs, dans les actes, les chartes, les lettres, etc. il file en cursive. Hormis ces différenciations, liées à la typologie des manuscrits, il est possible de suivre l’évolution chronologique des écritures en se fondant sur la typologie de leur graphie, sur leurs formes. Ainsi, la minuscule caroline du VIIIe siècle diffère-t-elle clairement de la gothique du XIIIe siècle ou de l’humanistique du XVe siècle.
À ces graphies et à leurs nombreuses variantes s’ajoutent celles des manuscrits rédigés en langues arabes, grecques, hébraïques, dont les alphabets portent leurs propres esthétiques, leurs propres graphies.
Des écritures en usage dans l’Antiquité et dans les premiers siècles du Moyen Âge, seules la capitale et l’onciale ont survécu dans les manuscrits postérieurs à la Renaissance carolingienne ; ces écritures ont alors occupé une place restreinte mais de premier ordre dans les textes. Ainsi, dans les manuscrit carolingiens et postérieurs, l’emploi de la capitale carrée, de la capitale rustique, au module allongé verticalement, et de l’onciale, à la flexibilité curviligne, est réservé aux titres.
La cursive, écriture rapide, est réservée à la rédaction courante encore au VIIe siècle. Très appréciée, elle finit par gagner l’ensemble de la production écrite, avant d’être balayée par la minuscule caroline, qui marque l’entrée dans les écritures médiévales proprement dites. Elle apparaît vers 800 et est vouée rapidement à une grande fortune. Nette, régulière et souple, elle bénéficie de l’essor de la copie de manuscrits impulsée par la Renaissance carolingienne pour gagner l’ensemble de la production.
La caroline devient en quelque sorte l’écriture officielle de l’empire franc, supplantant ainsi dans un premier temps toutes les autres écritures en usage sur le territoire, puis, dans le courant des XIIe et XIIIe siècles, l’ensemble des écritures à travers l’Europe. Elle est caractérisée par un corps prolongé, selon les lettres, en haut par des hastes (b, d, h…), en bas par des queues (g, p, q…).
Le format très stable de la caroline, évolue à partir du XIe siècle, pour donner lentement naissance à la gothique, qui la supplante et atteint sa maturité dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Elle perdure jusqu’à l’invention de l’imprimerie et même au-delà. La gothique comprend deux grands types : la gothique brisée (caractérisée par une rigidité anguleuse et des excroissances) et la gothique ronde (plus ample et arrondie).
Mais, ces deux formes canoniques, que l’on désigne aussi sous le terme de textura, concernent essentiellement les manuscrits religieux. Pour le reste, le foisonnement et la diversité de la production de manuscrits à l’époque gothique engendrent une prolifération de variétés d’écritures gothiques plus ou moins simplifiées et destinées à une rédaction rapide, pour les actes juridique, la chancellerie, les lettres…
Il convient mieux dès lors d’employer le pluriel pour évoquer la calligraphique gothique. Les extrémités des jambages et les hastes sont en général simplifiées, tandis que la hampe des F et des S se prolonge au dessous de la ligne d’écriture. La queue du D et les hastes des B, H, L ont tendance à former une boucle. On observe également un penchant pour l’inclinaison. Finalement, ces modulations aboutissent à la formation d’un nouveau canon calligraphique, lui-même abâtardi en de nombreux sous-types, etc. Certaines formes raffinées sont élaborées pour les ouvrages profanes des princes, à l’image de la bâtarde bourguignonne. Ainsi, la gothique, dans l’ensemble de ses variantes, règne sur la majeure partie de l’écrit (manuscrits liturgiques, textes universitaires, littératures vulgaires).
Puis, à Florence (Italie), au début du XVe siècle, naît une nouvelle écriture dite humanistique, inspirée aux humanistes italiens par la lisibilité de la graphie des manuscrits des XIIe et XIIIe siècles. L’humanistique devient l’écriture privilégiée des copies de textes antiques et des textes contemporains qui s’en inspirent. Ces manuscrits rompent rapidement avec la tradition gothique. Ce modèle se diffuse depuis Florence et Rome et va jusqu’à servir de modèle au caractère romain de l’imprimerie. L’humanistique cursive, apparue en Italie dans le second quart du XVe siècle pour un sage courant, donne naissance, quant à elle, à l’italique des imprimeurs.
Sur les territoires de l’actuelle France, l’enluminure subit un déclin entre la fin du IXe siècle et la fin du Xe siècle, en comparaison de la somptuosité des manuscrits qui y avaient été produits à l’époque carolingienne. Avec la fin du Xe siècle, s’amorce une période plus favorable et propice à la création, qui s’accompagne d’une généralisation de la pratique de l’enluminure au sein des monastères. Nombreux et dispersés, ils favorisent l’apparition d’une grande diversité de styles locaux, qui s’inspirent des modèles anciens et contemporains.
Les enluminures carolingiennes et anglo-saxonnes inspirent les ateliers des régions du Nord et de Normandie notamment, celles du Saint-Empire les régions de l’Est et la Bourgogne, celles de la Péninsule ibérique inspirent les scriptoria du Sud-Ouest, influence dont témoigne le Beatus de Saint-Sever, conservé à la BnF. L’influence italo-byzantine marque, quant à elle, de façon profonde l’enluminure bourguignonne, dès la fin du XIe siècle à Cluny. Le temps passant, ces styles locaux se consolident, prennent leur autonomie vis-à-vis de leurs sources d’inspiration, pour aboutir à des formules bien caractérisées, qui se diffusent à leur tour comme modèles d’inspiration en France et outre-Manche, à la faveur de la conquête normande, puis de l’expansion du royaume Plantagenêt au XIIe siècle.
La période romane est l’âge d’or de la lettre ornée, un des phénomènes les plus caractéristiques de l’enluminure de ce temps, résidant dans la confrontation de l’écriture, de la décoration et de l’image. L’initiale est née de cette confrontation dès l’Antiquité, mais c’est au Moyen Âge qu’elle s’épanouit pour devenir un thème fécond, un domaine autonome entre l’écriture et l’image. Elle devient alors un des lieux privilégiés où s’exprime l’imagination médiévale.
L’habitude graphique dans l’Antiquité classique était de présenter les textes de façon continue, sans ponctuation et structurés visuellement par des césures relativement discrètes. Au cours de l’Antiquité tardive, les subdivisions du texte commencèrent à être mises en évidence, avec le rejet en marge de la première lettre de la ligne et bientôt sa distinction vis-à-vis des autres lettres par un format plus grand et des ornementations. Quant à lui, le titre était placé à la fin du texte, en explicit.
Puis, rapidement, l’usage changea au profit de la valorisation du début du texte (incipit) : le titre fut alors placé en tête. C’est alors que les premières initiales zoomorphes apparurent, combinaisons de lettres et de formes inspirées du monde naturel (poissons et oiseaux). Désormais, le motif de l’initiale autonome, inventé pour accroître la lisibilité du texte, se retournait contre sa raison d’être, ouvrant la voie à une infinité de métamorphoses de la lettre, compliquant son identification donc sa lecture. Dès lors, tout l’art de l’enlumineur résida dans la maîtrise de cette union contre-nature d’un signe graphique et d’un ou de plusieurs motifs du monde sensible.
L’enluminure carolingienne, s’inspirant de la norme classique, donne une part prépondérante aux feuillages d’acanthe, qui habitent dès lors les espaces laissés libres dans les jambages, les articulations et les extrémités d’initiales redevenues sages, claires et géométriques.
À l’époque romane, les enlumineurs reprennent à profit les recherches conduites à l’époque précarolingienne ainsi que les apports végétaux de l’enluminure carolingienne. Ce double emprunt conduit à la création et à la profusion d’une production d’initiales combinant animaux, végétaux et humains, dans des imbrications extrêmement harmonieuses, qui mêlent dans un juste équilibre naturalisme et effets décoratifs.
Au tournant du XIe et du XIIe siècle, les enlumineurs développent des initiales anthropomorphes, dans lesquelles les parties constituantes de la lettre jouent de véritables scénettes. Les formes des lettres sont animées en allant parfois jusqu’à se muer en un paysage. Alors renaît le goût des entrelacs de figures animales et humaines qui s’entredévorent, mêlés avec densité dans un espace réduit. L’étroitesse des jambages devient le prétexte à un enchevêtrement animé de corps, occupant tout espace disponible. Dans cette lutte, chaque être vivant est à la fois vainqueur et vaincu. L’initiale figurée fantastique de l’époque romane a rapidement disparu pour renaître dans les documents officiels à partir du XIVe siècle, avec certainement la volonté de souligner le caractère solennel du texte en recourant à des initiales archaïsantes.
D’autres formes d’initiales ornées apparaissent à l’époque romane, sur un substrat carolingien. On les identifie d’abord au XIe siècle dans les scriptoria normands et anglo-saxons, avant qu’elles ne s’imposent et triomphent, dès la première moitié du XIIe siècle, dans tous les centres de production de manuscrits en Occident. Il s’agit des initiales historiées et des initiales habitées.
Les lettres dont le corps comporte des espaces libres (O, P, Q…), qui peuvent accueillir des personnages ou des scènes entières, sont plus adaptées à ces compositions. Dans le cas des initiales historiées, le corps des lettres, généralement enserré de rinceaux végétaux grimpants, sert de cadre à des représentations figurées autonomes.
Dans les initiales habitées, le corps des lettres lui-même est fait d’un assemblage de rinceaux dont l’enchevêtrement et les enroulements labyrinthiques participent à la composition des scènes qu’ils abritent.
Au cours du temps, les enlumineurs favorisent les initiales historiées aux dépens des initiales habitées. En dépit d’un certain assèchement, en regard de la végétation luxuriante qui animait les initiales habitées au début de la période romane, les initiales historiées offrent une plus grande clarté des scènes auxquelles elles servent de cadres. La végétation regagne le corps même des lettres (entrelacs en ruban aux articulations, têtes d’animaux aux extrémités et aux jonctions) et déserte les espaces libres à l’intérieur de l’initiale. Le XIIIe siècle marque un tournant de ce point de vue. La décoration prend alors son indépendance vis-à-vis de la lettrine à laquelle elle reste attachée par des ligatures et des antennes pour une part. Elle gagne alors les marges, où elle s’épanouit dans les drôleries, ou les cadres des miniatures de toutes dimensions, tandis que les initiales se font plus sobres et stéréotypées.
L’emploi des initiales simplement ornées, en usage depuis le haut Moyen Âge, se perpétue jusqu’au XVIe siècle. On parle alors davantage de lettrines. Elles contribuent à structurer le texte et favorisent ainsi sa lisibilité.
Le XVe siècle marque un renouveau de l’activité créatrice autour des lettrines ornées. Certaines, nues, évidées ou émanchées, restent sobres ; simplement tracées à la plume, peintes, voire rehaussées d’or ou filigranées, elles se contiennent dans leur module. Mais, d’autres s’agrémentent au contraire de fioritures souvent extravagantes qui les font s’épanouir sur une part considérable des marges laissées libres. Les filigranes tentent de timides expansions, tandis que les cadeaux forment de luxuriants panaches. Les plus exubérants s’épanouissent jusqu’à donner aux initiales qui les portent des allures animales ou de grotesques (masques).
Dès la première moitié du XIIIe siècle, la décoration prend son indépendance vis-à-vis des initiales, pour s’épanouir dans les marges du manuscrit, nouvel espace de liberté que l’imagination des enlumineurs et de leurs commanditaires ne tarde pas à conquérir. En France et en Angleterre, la décoration marginale atteint son apogée au XIVe siècle, dans des compositions où se mêlent une faune et une flore réalistes ou imaginaires et des thèmes sacrés aussi bien qu’une iconographie profane, voire grivoise. Ces scénettes peuvent s’inspirer de proverbes, de jeux de mots, d’histoires populaires. Elles dépeignent tant des moments de la vie quotidienne que des épisodes tirés des répertoires comique, fantastique ou moralisateur. On nomme ces peintures marginales anticonformistes les drôleries.
L’enluminure parisienne semble avoir joué un rôle pionnier dans leur instauration. L’utilisation de ce système décoratif se généralise dans l’ensemble de l’Occident vers 1300, avant de décliner vers le milieu du XIVe siècle, malgré quelques réapparitions jusqu’à la Renaissance.
Indépendantes du texte et de son illustration, les drôleries prolifèrent autour des lettrines. Traitées avec humour, elles offrent des motifs variés, inspirés de la culture populaire (monstres, animaux, anthropomorphes, hybrides) et issus du répertoire profane propre à la culture aristocratique (thématiques de la chasse, des jeux courtois et de la musique). Pourtant, cette imagerie envahie majoritairement les livres de piété (Bible, psautiers, livres d’Heures) et non les œuvres comiques. Il ne faut pas s’en étonner car, au sein des manuscrits médiévaux, l’image n’est pas nécessairement une transposition directe du texte qu’elle accompagne. Tout de même, les drôleries constituent, pour une part, des gloses des miniatures pleine-page.
On y observe une tendance à dénaturer formes et figures. Deux motifs semblent avoir eu un succès particulier : l’homme nu et le visage sur pattes. L’influence des collections d’antiques (pierres précieuses figurées, etc.) tient une part dans les choix iconographiques des drôleries, mais d’autres emprunts proviennent de la littérature ; le monde animal, très présent, s’inspire le plus souvent du bestiaire et des fables, tandis que la matière de Renart, thème d’inspiration anticléricale, flatte les goûts des laïcs.
Les principaux thèmes (la chasse, les jeux, la musique, la danse, les scènes de jonglerie, l’amour courtois, l’hostilité envers le clergé, la figure du fou et le monde animal) marquent l’avènement de la représentation du quotidien, du profane, du divertissement. Ils valorisent le mode de vie de l’aristocratie laïque. L’exemple de la chasse est particulièrement révélateur : thème le plus fréquent dans les marges à drôleries, il reflète le rituel du pouvoir, indépendant du clergé et, dans bien des cas, rejoint la thématique de l’amour courtois. Les scènes de chasse figurent tant dans les manuscrits destinés à des laïcs qu’à des clercs ; comme souvent au Moyen Âge, la stricte séparation des mondes religieux et profane n’a que peu de sens.
Tout ici est retourné : le cerf poursuit le chasseur, les soldats en armure s’enfuient devant des escargots et l’âne enseigne les Écritures. Les gens d’église, les nobles, les bourgeois, les clercs, toutes les catégories sociales font l’objet de moqueries et de persécutions, toutes malmenées par un bestiaire exubérant.
La fonction principale des drôleries semble être la distraction et le rire, tant aux dépens des autres que de soi-même. Elles sont un remède contre l’ennui. Leur lien privilégié avec les livres de dévotion tient certainement à la monotonie de la prière des Heures. Le déclin de ces illustrations marginales pourrait alors correspondre à un nouveau rapport que les nobles lettrés entretiennent avec la lecture, considérée davantage comme un plaisir que comme un exercice rébarbatif.
Lentement, une relative standardisation s’instaure dans les décors de marges. A la fin du XIVe siècle, la prolifération des végétaux supplante progressivement les drôleries. Au XVe siècle, les bordures se couvrent d’antennes et de ramifications végétales. On n’y trouve guère plus autre chose que des motifs héraldiques, mêlés à des semis de fleurs, de ramures bourgeonnantes et de fruits, d’entrelacs de vigne et d’acanthe.
Sans être exclusive, cette tendance à l’effacement des scénettes dans les marges est manifeste et généralisée. Pour autant, on peut encore découvrir jusqu’au XVIe siècle, au détour d’une lecture, quelques personnages, quelques animaux, quelques monstres même, qui continuent d’habiter ces végétations exubérantes.
Dans le premier quart du XVe siècle, naît aussi un nouveau genre de peinture marginale. Il s’agit d’images qui viennent compléter les scènes des miniatures pleine-page. Ces compléments iconographiques développent les récits dans une même continuité spatiale sur l’ensemble des bordures. On assiste donc là à un enrichissement de la narration bien plus qu’à une simple décoration marginale.
Les miniatures de l’époque romane présentent des cadres aux bordures rectangulaires peintes ou dorées et d’épaisseurs variables. Les scènes qui s’y jouent se déroulent sur un arrière-plan abstrait (bandes colorées, etc.) ou limité à quelques motifs et aplats colorés symbolisant le ciel ou la terre par exemple. Les personnages cernés de noir se détachent de ces fonds par contrastes colorés. Il arrive aussi, dans le cas de figures autonomes ou associées à des initiales, que ces personnages, souvent tirés de l’Ancien Testament, apparaissent sans cadre et pour seul arrière-plan le parchemin lui-même.
Ce type de compositions croît en nombre et en dimensions au cours du XIIIe siècle. Mais, il faut attendre la seconde moitié du siècle pour observer un renouvellement profond des miniatures, à la suite des manuscrits prestigieux parisiens, au premier rang desquels le Psautier de saint Louis, qui marque l’entrée de la peinture de manuscrits dans le gothique international. Dès lors, les figures élégantes s’animent dans des cadres rectangulaires dorés qui abritent des architectures gothiques stéréotypées. Les fonds eux-aussi sont dorés ou constitués d’aplats colorés sombres, chargés de motifs abstraits (entrelacs, treillis, carreaux, formes géométriques) plus clairs ou dorés.
Si les encadrements architecturaux stylisés disparaissent, le type de composition sur fond écran se perpétue tout au long du XIVe siècle. Ces fonds interdisent toute contextualisation ou localisation précise. Ce sont donc alors les détails du costume, les attitudes, les attributs et les architectures qui participent à resituer dans le quotidien des lecteurs des scènes souvent issues d’épisodes de l’Antiquité. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, un type bien particulier d’encadrement permet de reconnaître aisément les productions issues des ateliers parisiens. Il s’agit du listel quadrilobé et tricolore (bleu, blanc, rouge) que l’on trouve dans les Décades de Tite-Live.
Dans la seconde moitié du XIVe siècle, la miniature italienne emploie des types de composition similaires, à ceci près qu’elle introduit la représentation de la profondeur et des tentatives de perspective. Les scènes et les attitudes sont moins stéréotypées et les physionomies plus épaisses qu’auparavant. On retrouve les mêmes caractéristiques dans certains manuscrits français de la fin du XIVe siècle, puis dans la première moitié du XVe siècle.
À partir du milieu du XVe siècle, l’influence naturaliste de la peinture flamande se généralise et imprègne la production française. Les fonds écran disparaissent au profit de paysages lointains ou d’intérieurs dans lesquels la profondeur et la perspective se font plus réalistes. Des architectures souvent simplifiées mais représentées en perspective cavalière se dressent dans des paysages idylliques ou dans des représentations urbaines. Petit à petit le vocabulaire architectural issu de la Renaissance italienne pénètre ces images, notamment dans les encadrements et les bordures.
La grisaille désigne une technique picturale qui met en œuvre un camaïeu de gris dont l’éventail s’étend du blanc au noir. On parle de demi-grisaille pour désigner une grisaille rehaussée de couleurs (rouge, bleu, vert) dans l’intention de parfaire le modelé et de rendre les chairs, les cheveux, les vêtements, les fonds… Son usage couvre l’ensemble de la production picturale (peinture murale, enluminure, vitrail).
Elle apparaît dans les fresques de Giotto au début du XIVe siècle puis, dans l’enluminure française, chez Jean Pucelle, vers 1325. Employée à plusieurs titres (parti pris d’austérité religieuse, expression privilégiée du trompe-l’œil, jeux de volumes et de lumière) au gré des commandes dans la peinture monumentale, elle trouve dans l’enluminure un lieu d’épanouissement pour elle-même. Les enlumineurs l’y traitent comme un choix plastique et esthétique à part entière. Très appréciée dans les manuscrits luxueux parisiens jusque dans les années 1380, la grisaille disparaît ensuite. Elle réapparaît à partir de 1460 dans les prestigieux manuscrits exécutés pour la cour de Bourgogne. En Aquitaine, les peintures murales du château d’Aren sont un exemple de l’emploi tardif de la grisaille dans la peinture monumentale.
Contrairement aux six miniatures de la collection Marcadé, rehaussées d’or, les illustrations du Livre de la Chasse de Gaston Fébus conservé à la Bibliothèque du château de Pau ne reflètent pas exactement la réalité de la grisaille telle que décrite ci-dessus. Il s’agit davantage de dessins que de peintures. Pour autant, on les qualifiera de grisailles, dans une acception plus large du terme.
Au cours de l’Antiquité tardive, le support écrit a subi une transformation formelle majeure avec le passage du rouleau (rotulus) ou du diptyque (tablettes de cire) au codex. Il s’agit du livre tel que nous le connaissons encore : un recueil de cahiers, eux-mêmes formés par la pliure d’une ou de plusieurs feuilles, cousus les uns aux autres de façon à obtenir des pages individuelles de même format. Ainsi le codex autorise le feuilletage page à page, à la différence du rouleau (déroulé de façon continue) et il permet de conserver en un volume relativement réduit une quantité importante d’informations, contrairement au diptyque. L’emploi privilégié du parchemin comme matériau constitutif des feuillets permit, en outre, d’assurer une excellente conservation des textes dans le temps.
La combinaison de ces deux innovations techniques marqua un tournant fondamental dans l’histoire du livre et assura au codex de parchemin un essor considérable durant les dix siècles qui ont précédé l’invention et la diffusion de l’imprimerie en Occident. Malgré des pertes immenses, ce sont des milliers de livres manuscrits rédigés sur ce support qui nous sont parvenus.
L’usage croissant du papier, à partir de la fin du XIIIe siècle, doit son succès à des raisons d’ordre économique ; produit selon un mode industriel à partir du XIVe siècle, le papier était bien moins coûteux que le parchemin. Plus solide, plus propice à une bonne conservation et plus prestigieux, le parchemin resta tout de même le support privilégié par les grands collectionneurs jusqu’à la fin du Moyen Âge et même au-delà dans les chancelleries, tandis que le papier fut favorisé pour un usage plus courant, avant d’accompagner à son tour, à la fin du XVe siècle, l’essor d’une nouvelle innovation technique, l’imprimerie, et la diffusion que l’on sait du livre imprimé sur papier.
Ce sont donc, certes, des innovations techniques et leur emploi conjugué qui marquent les grandes étapes de l’histoire du livre au Moyen Âge. Mais, ce sont aussi les usages qui sont faits de ces livres et, par conséquent, les besoins de leurs commanditaires qui permettent de comprendre ces évolutions. En effet, ils accompagnent ces dernières et génèrent la confection et la diffusion de ces ouvrages. Par là même, ils participent également à mettre en lumière les artisans qui ont mit leur art au service du livre, d’abord en transmettant et en réinventant sans cesse un savoir antique, puis en permettant l’enregistrement et la conservation du savoir qui leur était contemporain.
La liberté de culte offerte aux chrétiens, puis l’élévation de cette religion au rang de religion d’Etat, au IVe siècle, transformèrent les pratiques de l’écrit, promouvant le codex parcheminé support ordinaire pour toute œuvre écrite et comme vecteur privilégié de sa diffusion et de sa conservation. C’est ainsi qu’au fil des siècles fut assurée la transmission d’une part de la culture antique et, avec elle, le développement d’une part fondamentale de la vie intellectuelle en Occident. Toutefois, cette transmission a reposé sur des choix de transcriptions, des sélections successives de textes de toutes natures qui, à côté des Saintes Ecritures et de la Bible, ont déterminé les auteurs, les textes, la part de la culture antique livrés à la postérité.
Au cours du temps, deux filtres ont particulièrement orienté cette sélection. Premièrement, l’étendue et l’accessibilité du fonds bibliographique existant, l’une issue des sélections opérées antérieurement, l’autre limitée par la répartition géographique des fonds. Deuxièmement, les goûts et l’intérêt intellectuel propre à une époque, un atelier ou un commanditaire, facteurs subjectifs liés à leur propre culture.
La Renaissance carolingienne fut l’époque d’une intense activité de copie des textes anciens, privilégiant la transcription des Saintes écritures et de la Bible. Charlemagne, soucieux de faire renaître la brillante civilisation romaine, s’était entouré de conseillers érudits et avait favorisé l’enseignement destiné à former ses élites ainsi que la diffusion de la culture antique et chrétienne par l’étude et la copie de ces textes. Dans ce contexte et dans celui de la réforme de la liturgie, de nouveaux établissements religieux furent fondés et avec eux les scriptoria qui assurèrent la fabrique de ces nombreuses copies.
A l’époque romane, le rôle des communautés religieuses est primordial dans la commande et la confection des manuscrits. La règle bénédictine encourage les moines à la lecture et à la méditation. Les clercs ont besoin de manuscrits pour les guider dans la liturgie, dans l’étude et dans la pratique plus générale du culte.
Le lieu privilégié de commande et de fabrication de ces livres est alors le monastère. Pour constituer une bibliothèque et pour pouvoir disposer des livres indispensables au culte et à l’étude, les moines n’ont d’autres choix que de se les procurer ou de les fabriquer eux-mêmes. Pour plusieurs raisons, cette seconde solution est la plus usitée. Copier des manuscrits est d’abord un labeur, véritable œuvre de piété. Par ailleurs, constituer une bibliothèque nécessite de copier des exemplaires appartenant à d’autres abbayes. Les manuscrits constituent donc aussi un élément important du rayonnement, du prestige, de la réputation d’un monastère. Une bibliothèque et un scriptorium attirent nombre de clercs savants et lettrés qui, eux-mêmes, ajoutent au lustre du lieu par leur présence ainsi que par le don de leurs propres travaux effectués sur place ou de manuscrits réalisés ailleurs.
Au sein de chaque abbaye, un espace était réservé au scriptorium, local dont la configuration, la situation dans les bâtiments conventuels et le mode de fonctionnement restent assez mal connus. Il s’agit d’un atelier où se succèdent les diverses étapes de la fabrication du manuscrit, depuis la préparation du parchemin jusqu’à la reliure. Une telle concentration d’opérations a favorisé le développement d’habitudes locales, qui aident aujourd’hui à discerner l’origine précise ou régionale des manuscrits. Ces scriptoria connaissent, jusqu’à la fin du XIIe siècle, une activité soutenue. Leur nombre croit à la faveur de l’apparition de réseaux monastiques nouveaux (ordres cistercien, prémontré et chartreux).
Il n’existe pratiquement aucun témoignage, à cette époque, de l’existence d’un mécénat royal ou princier. Ce n’est que vers la fin de la période romane, que commencent à apparaître les premiers signes d’un soutien actif de la part des milieux du pouvoir : à cet égard, la cour d’Henri II Plantagenêt et celle des comtes de Champagne furent sans doute plus en avance q
Dès la fin du XIIe siècle, dans le sillage de l’essor urbain, de la naissance des grandes universités et du développement de la littérature en langue vulgaire, l’industrialisation du parchemin prend son essor et son commerce s’amplifie. Les abbayes cessent d’être les seuls centres de vie intellectuelle, au profit des villes, lieux privilégiés de la production et des échanges matériels, commerciaux et intellectuels. Les laïcs s’émancipent du monopole de l’enseignement scolastique. Une nouvelle demande, laïque, apparaît. Une nouvelle clientèle voit le jour (cours princières, juristes, bourgeoisie enrichie, étudiants), dont l’éventail des besoins s’élargit (littérature profane, traités spécialisés, textes d’édification, textes savants et cours). Le nombre des lecteurs est en augmentation.
Pour répondre aux attentes de ce nouveau marché urbain, de nouvelles professions apparaissent, à l’image du libraire. À partir du XIIIe siècle, les manuscrits ne sont plus désormais réalisés seulement par les moines, mais aussi par des laïcs, lesquels sont plus fréquemment appelés à exécuter des travaux de décoration et d’enluminure que des tâches de copie. Ceci étant, dans ces ateliers dits laïcs, la majorité des copistes reste constituée de clercs ou de membres du clergé séculier. Ces ateliers développent une activité lucrative et produisent un plus grand nombre de copies d’œuvres en langue vernaculaire.
En parallèle, jusqu’à la fin du Moyen Âge, les grandes abbayes bénédictines et cisterciennes ont subvenu à leurs besoins en manuscrits. Les chartreux et les chanoines réguliers se sont même fait une véritable spécialité de la fabrication des livres de sorte que le scriptorium religieux médiéval s’est parfois mué en authentique maison d’édition puis, vers les années 1480, en atelier d’imprimerie.
La culture essentiellement cléricale et monastique de l’époque romane a contribué à façonner la composition des bibliothèques. L’enseignement étant fondé, avant tout, sur l’étude de l’Ancien et du Nouveau Testament, il n’est pas surprenant de constater que les livres saints sont au cœur du travail de copie.
Les Bibles de très grands formats sont caractéristiques de cette époque. Toute abbaye se devait d’en posséder un exemplaire. Ce format monumental, dont on n’a que peu d’exemples à l’époque carolingienne, est communément adopté à travers toute l’Europe, au cours du XIe siècle.
Les livres liturgiques forment une catégorie distincte. Sacramentaires ou missels, psautiers, lectionnaires, antiphonaires, tropaires, évangéliaires ou livres d’Evangiles, ces volumes sont conservés à part. Les plus grands soins leurs sont apportés du point de vue de l’apparence extérieure (reliure) et de la décoration.
Les œuvres des Pères de l’Eglise (Augustin, Jérôme, Ambroise, Grégoire), piliers de toute bibliothèque monastique ou canoniale, sont complétées par les commentaires d’auteurs plus récents, carolingiens ou contemporains. Lié au développement des pèlerinages et au culte des reliques, les livrets consacrés à la vie d’un saint particulier tendent à se répandre.
La littérature profane (traités scientifiques, œuvres grammaticales, textes historiques ou auteurs de l’Antiquité classique) n’est pas absente. Certains recueils de nature plus technique (cartulaires, nécrologes, obituaires), ont suscité d’intéressants cycles d’illustrations. Rares sont les textes nouveaux. La littérature en langue vernaculaire n’occupe encore qu’une place restreinte : son essor, qui reste à venir, est lié au mécénat des cours et à l’élévation du niveau culturel des milieux laïques.
L’époque gothique marque la fin du quasi-monopole monastique de la fabrication des manuscrits, du fait même que les bibliothèques monastiques cessent d’être les seules collections de livres. Bien sûr, les communautés religieuses poursuivent leurs efforts et les prélats aussi, qui constituent des collections. Mais, les bibliothèques royales et princières prennent de l’ampleur, essentiellement à partir de Louis IX. L’une des plus célèbres est certainement celle constituée au XIVe siècle par Charles V. Le monde universitaire aussi constitue ses bibliothèques.
Mais, outre la commande utilitaire, ce qui est notable dès cette époque et qui va s’accroitre pour atteindre son apogée au XVe siècle, est l’idée de collection. Désormais, on ne commande pas nécessairement un manuscrit pour le parcourir, pour l’utiliser, le lire, mais pour l’idée de le posséder, pour le faire entrer dans un ensemble vaste composé de pièces plus ou moins exceptionnelles. Dès lors, pour une part de la production, le manuscrit reste potentiellement un objet utilitaire, mais derrière ce prétexte devient un objet d’art.
Ces bibliothèques laïques sont constituées de livres religieux (Bible, livres de dévotion, livres d’histoire religieuse). Dès la fin du XIIe siècle, les premiers des textes religieux à quitter le cloître sont des traductions et adaptations de livres isolés de la Bible, à l’image du psautier.
Le bréviaire, le psautier et le livre d’Heures sont successivement les trois livres de dévotion privilégiés par les laïcs jusqu’à la fin du Moyen Âge. À lui seul, le livre d’Heures est le manuscrit le plus copié et le plus enluminé de la fin de la période médiévale ; il est aujourd’hui le manuscrit médiéval le plus représenté au sein des collections publiques.
Les bibliothèques laïques conservent également des manuscrits profanes, écrits en langue vernaculaire. Souvent plus précieux et plus rares que les manuscrits de dévotion, ils semblent être l’apanage des membres les plus riches de l’aristocratie, dont ils exaltent les valeurs et accompagnent les plaisirs (Livre de la chasse, Ms 6529 Pau). Les premiers d’entre eux sont les romans, contes et lais : fictions poétiques qui, dans un cadre historique romancé, exaltent les vertus chevaleresques et courtoises prisées par l’aristocratie, lectrice et commanditaire de ces œuvres. L’Antiquité fournit une matière privilégiée aux auteurs, à l’instar du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure (Ms 0674 Bordeaux), dont le succès doit moins à la véracité du propos historique qu’à l’exaltation des valeurs courtoises, en cette fin du XIIe siècle à la cour d’Aliénor d’Aquitaine.
La « matière antique » constitua l’inspiration privilégiée de nombreux autres romans, mais elle promut aussi la copie de certains textes classiques comme les Décades de Tite-Live (Ms 0730 Bordeaux) qui enrichirent les bibliothèques des nobles et des riches bourgeois. La « matière de Bretagne » nourrit le célèbre cycle arthurien (Recueil de fragments littéraires, F0001 Archives départementales), tandis que la « matière de France » reprend sous forme romanesque l’épopée carolingienne. Autant de sources d’inspirations qui se réunissent et trouvent leur apogée à partir du XIVe siècle dans le cycle des Neuf Preux, groupe composé de trois héros de l’Ancien Testament (David, Judas Maccabée, Josué), trois de l’Antiquité (Hector de Troie, Alexandre, César) et trois du Moyen Âge (Arthur, Charlemagne, Godefroy de Bouillon), dont le souvenir lointain nous est aujourd’hui familier par le biais des jeux de cartes.
Les Chroniques des rois de France (Ms 0728 Bordeaux) et les Faits d’armes de la chevalerie (Ms 0815 Bordeaux) constituent un pan plus officiel de l’histoire nationale et locale, qui connaît un grand succès au sein de l’aristocratie à la fin du Moyen Âge. Elles s’inscrivent dans le sillage des Grandes Chroniques de France dont la rédaction fut confiée par Louis IX aux moines de l’abbaye de Saint-Denis vers 1250. Leur rédaction, traduites en français dès 1274, se poursuivit jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Le XIIIe siècle voit l’éclosion et l’engouement pour un type bien particulier de manuscrits, les « miroirs » (Ms 0425 Bordeaux). Il s’agit de livres de vulgarisation, destinés au plus grand nombre, souvent rédigés par des clercs, qui tentent de réunir ici la somme des connaissances du moment, dans des domaines aussi éloignés que l’histoire, la mécanique, la morale, les mathématiques, la physique, la théologie, les sciences naturelles…
On connaît assez peu dans le détail le quotidien des ateliers de confection des manuscrits du Moyen Âge. Au cours du temps, la nature même de ces ateliers, d’abord exclusivement religieux, puis également laïcs, a changé. C’est aussi le cas des textes eux-mêmes qui font l’objet de copies, religieux et profanes, anciens et contemporains. Plusieurs ouvrages du catalogue témoignent d’ailleurs de ces diversités. On y perçoit tout de même une organisation générale. Fabriqués au sein d’ateliers, les manuscrits médiévaux sont le produit d’un travail collectif, issu d’une chaîne opératoire dont les acteurs multiples œuvrent successivement à la préparation des supports (parchemin ou papier), à l’organisation du manuscrit et à celle de chacun de ses feuillets, mettant en dialogue le texte et l’image, à la rédaction du texte (scribes, copistes) et à l’enluminure (enlumineurs), à la reliure…
Le codex est un recueil de cahiers reliés, eux-mêmes formés par la pliure d’une ou de plusieurs feuilles, cousus les uns aux autres de façon à obtenir des pages individuelles de même format. La plupart de ces pages reçoivent du texte et des enluminures. L’élément essentiel du codex est donc le support, parchemin ou papier.
Le parchemin provient d’une peau d’animal (porc, veau, mouton, chèvre, âne, cheval). Il reçoit une dénomination spécifique selon l’espèce animale dont il est issu, suivant l’âge de la bête ou encore en fonction du traitement que la peau a subi ; on parle ainsi de vélin pour un parchemin obtenu par le traitement de la peau d’un veau mort-né ou abattu peu après sa naissance.
Une fois la peau choisie, elle est épilée. Pour faciliter l’arrachement du pelage, la peau est préalablement plongée dans le pelain (bain de lait de chaux). Puis, la peau est écharnée, c’est-à-dire raclée du côté chair, afin de la débarrasser des résidus carnés, souvent graisseux. Vient ensuite le ponçage, plus énergique du côté poil que du côté chair. Dans les derniers siècles du Moyen Âge, la technique du ponçage a atteint un tel degré de qualité qu’une peau de mouton (matière un peu grossière et assez bon marché) présente toutes les apparences d’une peau de veau. Enfin vient le séchage de la peau, tendue à cet effet sur des cadres dénommés herses ou châssis.
Quant à lui, le papier est un produit manufacturé, entièrement dû à l’industrie de l’homme. Au Moyen Âge, la pâte à papier est obtenue par le battage de vieilles étoffes. Après dilution à l’eau, elle est répandue sur un moule (forme) laissant s’écouler l’eau tout en retenant la cellulose, substance organique constitutive du papier. Une fois cette opération effectuée, on retire la feuille de papier de la forme et on la dispose sur une pièce d’étoffe (feutre). La feuille présente alors une face lisse (endroit ou côté feutre) et une face plus rugueuse (envers, côté trame ou côté forme). Pour atténuer cette différence et rendre la surface plus apte à recevoir de l’encre ou de la couleur, intervient ensuite le glaçage : lissage au moyen d’un polissoir ou d’une pierre d’agate.
A partir de la fin du XIIIe siècle, les papiers fabriqués en Occident comportent une marque de manufacture (le filigrane), constituée par l’empreinte pratiquée dans le papier par un fil métallique attaché aux fils de la forme. Le filigrane représente une figure quelconque, dont les sujets sont très variés : objet familier (un cor, une clef, une balance, etc.), tantôt une figure symbolique (fleur de lis, agneau, tour, croix, etc.), tantôt une lettre ou les initiales de nom de famille. Souvent il combine plusieurs de ces systèmes.
Habituellement, un manuscrit médiéval est entièrement constitué de parchemin ou de papier. Cependant, on rencontre des cas de manuscrits hybrides, qui s’expliquent par l’union de feuillets d’origines différentes, le renforcement de certaines parties des cahiers, la mise en valeur de certaines parties du codex…
Quel que soit le support choisi, vient ensuite l’opération du pliage. Les feuillets sont alors pliés une ou plusieurs fois afin d’obtenir le format souhaité pour le manuscrit. C’est à ce stade de la confection du manuscrit qu’interviennent les scribes et autres enlumineurs, au sujet desquels sont consacrés les dossiers suivants.
À la suite du travail d’écriture et d’ornementation des feuillets, ceux-ci sont enchâssés, cousus conjointement et simultanément au nerf par le relieur pour former des cahiers, unités de construction de tout ouvrage relié. Afin que ne se produisent, au moment de la reliure, des interversions dans l’ordre des cahiers, différents procédés de contrôle et d’agencement ont été développés. Le plus connu est celui de la réclame : groupe de mots ou de lettres que le copiste trace au bas de la face verso du dernier feuillet d’un cahier et qui constitue les premiers mots ou premières lettres du cahier suivant. Mais, le moyen le plus ancien, utilisé depuis l’Antiquité, consiste en la numérotation de chaque cahier.
Pour pallier toute éventuelle interversion des feuillets dans un même cahier, ce procédé est couplé à un système de numérotation double, semble-t-il à partir du XIIIe siècle, au moment où, le nombre d’intervenants se multipliant (copistes, rubricateurs, dessinateurs de lettres, enlumineurs), croissaient également les risques de désordres dans les feuillets. La modalité de numérotation la plus répandue consiste à combiner une lettre, qui numérote le cahier, et un chiffre romain minuscule, qui renvoie à la position du feuillet dans le cahier.
La dernière opération participant à la préparation du manuscrit médiéval est la reliure, c’est-à-dire l’assemblage des différents cahiers du codex et leur protection par des plats et un dos. Au cours du temps, le manuscrit a souvent perdu sa reliure originelle, celle-ci ayant rempli son office protecteur. Endommagée par les transports, les modes de conservation parfois indélicats et la simple consultation de l’ouvrage, elle a perdu le plus clair du temps toute efficacité et tout aspect esthétique. C’est ainsi qu’elle fut souvent remplacée par une nouvelle reliure, efficiente et mise au goût du jour.
L’habillage du livre était ordinairement réalisé au moyen de peaux de suidés, voire d’autres genres de cuirs (bœuf, daim, chèvre). Le fondement du plat est constitué de plaques (ais) en bois, sur lesquelles sont clouées lesdites peaux (couvrures) au moyen de clous à grosse tête (bouillons) destinés à protéger la couvrure des frottements. Ce dispositif de protection est complété par les coins, pièces métalliques fixées aux angles extérieurs des plats. Des fermoirs permettent de maintenir le codex fermé en attachant l’un à l’autre les bords des plats. Les cadres en laiton accueillent le titre de l’ouvrage, protégé par un morceau de corne translucide.
Certaines reliures médiévales ne comportent, en guise de couvrure, qu’une souple enveloppe de parchemin, doublée de toile, quand, à l’inverse, les ais de certains manuscrits particulièrement riches peuvent comporter des plaques d’ivoire travaillé ou de métal gravé, émaillé et rehaussé de cabochons en pierre semi-précieuse ou précieuse.
La qualité artistique de certaines couvrures laisse penser qu’elles n’étaient pas forcément réalisées dans le même atelier que le reste du manuscrit. Certains plats pouvaient également provenir de remplois de diptyques en ivoire antiques ou de manuscrits médiévaux plus anciens.
Selon les époques, religieux ou laïc, le scribe peut être moine, secrétaire ou employé d’un libraire universitaire.
Les textes des manuscrits sont rarement autographes. Le plus souvent, ils sont issus d’un travail de copie, destiné à enregistrer sur un support pérenne la pensée d’un autre, un texte souvent ancien, issu d’un ou de plusieurs manuscrits, pour mieux le conserver et le transmettre. À première vue, le travail du scribe relève donc davantage de la copie et de la médiation que de la création. On emploie d’ailleurs souvent le terme « copiste » pour l’évoquer. Pourtant, il fournit un véritable travail d’édition, puisqu’il s’agit pour lui de mettre à disposition de ses lecteurs un texte qui soit à la fois lisible par eux et pourtant conforme dans son contenu au texte original.
Concrètement, on observe souvent d’évidentes amputations, améliorations, augmentations du contenu exact du texte d’origine. Cela peut s’expliquer aussi bien par un manque d’attention de la part du copiste que par des modifications volontaires dans son travail de transcription. La façon dont le texte s’inscrit dans la page est constamment renouvelée et adaptée à chaque nouveau manuscrit. Elle est soumise à de multiples contraintes : matérielles (imposées par le volume et par la pratique et les outils de la transcription), économiques, esthétiques (canons, qualités du copiste et goûts du commanditaire), voire liées au texte lui-même (rythme, langues, etc.). Pour répondre à la finalité de lisibilité et au confort de lecture, le copiste doit veiller tout autant à rendre déchiffrable son écriture (signes graphiques) qu’à en permettre une lecture continue, qui n’entrave pas le lecteur dans sa tentative de compréhension du texte.
Afin de bien comprendre la difficulté du travail de transcription, il suffit de partir du support sur lequel travaille le scribe. [lien vers le texte sur la fabrication du livre : division du codex en cahiers composés de bi-feuillets]. Le cahier composé de bi-feuillets induit un travail d’écriture discontinue ; le copiste ne peut écrire comme on rédige une lettre. Avant de poser le texte sur la page, il doit donc avoir déjà conscience du positionnement de ce texte dans la page. Pour y parvenir, il compose la page au préalable au moyen de la réglure, c’est-à-dire en marquant visuellement les frontières de son texte : lignes d’écriture (lignes horizontales) et cadre d’écriture (lignes verticales). Ces limites définissent également les marges et situent les espaces dédiés à l’enluminure.
A partir du XIIe siècle, les lignes de réglures sont tirées à l’aide d’une mine de plomb ou d’argent ; jusque-là, elles l’étaient à l’aide d’une pointe sèche, qui ne laissait aucune marque de couleur sur les feuillets et présentait l’avantage de marquer d’un même geste le recto et le verso du support. En comparaison, l’emploi de la mine de plomb ou d’argent oblige à exécuter un travail double.
A l’époque gothique, dès la fin du XIIe siècle, le mode de tracé des réglures évolue encore. Désormais, les lignes sont souvent réalisées au moyen d’une encre diluée ou à l’aide d’une couleur. Dès lors, les guides de l’écriture ressortent davantage sur le support et apparaissent comme un modeste décor.
Le copiste peut ensuite transcrire son texte qu’il tente de justifier, c’est-à-dire d’adapter le plus régulièrement au cadre défini par la réglure. Pour y parvenir, il est conduit à adapter la forme du texte en intégrant des abréviations, en jouant sur les espaces blancs ou en faisant varier la régularité du tracé des lettres par compression ou dilatation. La gestion du dernier mot de la ligne joue un rôle important dans la double préoccupation d’une régularité formelle du texte et de sa lisibilité ; ce mot peut dépasser dans la marge (inscrit en entier ou complété dans la marge et rejeté au-dessus ou en dessous de la ligne), être reporté en entier à la ligne suivante, coupé au niveau de la ligne de justification et repris au début de la ligne d’écriture suivante ou être abrégé.
Malgré les nombreuses miniatures conservées représentant le scribe au travail, notre connaissance précise de ses gestes et de son attitude au moment de la transcription reste imprécise. Il semble que, jusqu’au XIVe siècle, le document à copier soit placé sur un plan incliné (un lutrin par exemple) ou sur une table horizontale. L’usage d’un mobilier incliné suppose que le traçage des lettres soit réalisé à main levée, particulièrement adapté au tracé des écritures ornées de pleins et de déliés. D’après les miniatures du XVe siècle, les scribes écrivent alors plus fréquemment sur une surface horizontale, la main posée.
Comme instrument d’écriture, les scribes disposent du stylet, de la mine de plomb ou d’argent, du calame et de la plume. Le stylet est réservé à l’écriture sur des tablettes de cire, qui sont utilisées comme supports pour les brouillons. La mine s’emploie surtout pour tirer des lignes de réglure, voire pour noter des indications pratiques ou pour transcrire des textes. Les deux ustensiles servant ordinairement à la transcription sont le calame et la plume. Le calame est un roseau taillé ; connu depuis l’Antiquité, il est encore en usage au XVe siècle. La plume est d’ordinaire une plume d’oie, dont le tuyau subit un ébarbage et dont la pointe est fendue en deux pour faciliter sa course sur le support. A l’époque gothique, cette partie pointue est biseautée à gauche, de manière à faciliter le traçage des lettres.
En raison de la taille précise de la plume ou du calame pour une bonne écriture, il arrive que les copistes fassent des essais sur les feuillets même des manuscrits. Nombreux témoignent encore de ces essais : répétitions de même lettres, de mêmes syllabes ou de mots identiques, production d’arabesques, transcription du mot probatio (essai) ou d’une citation, d’un adage, voire d’une courte prière. On les trouve le plus souvent sur le bord du feuillet ou sur des espaces appelés à disparaître une fois le codex réalisé.
L’encre présente généralement une teinte noire ou brune. Elle est fabriquée à partir de noix de galle ou de sulfate de fer délayé dans un liquide acide (vinaigre, etc.). Quand elle contient de la gomme arabique (liant), elle doit être réchauffée au moment de son utilisation dans la corne où elle est versée. Une encre rouge composée à base de minium sert également dans l’élaboration du manuscrit médiéval. Elle est utilisée pour mettre en évidence certains éléments du texte (rubriques, citations, etc.), mais a parfois servi également au traçage de la réglure.
Tous les manuscrits ne sont pas décorés ; ceux qui sont destinés à l’étude ou à l’enseignement ne présentent qu’une facture assez dépouillée et restent ainsi financièrement assez abordables. A l’opposé, les livres commandés par les dignitaires de l’Eglise et les princes laïcs, susceptibles de favoriser leur renom, reçoivent souvent une parure ornementale d’une telle richesse qu’ils en deviennent des objets précieux, de luxe, de collection, acquérant le statut d’œuvres d’art. L’exécution de cette ornementation revient à l’enlumineur, dont le travail succède à celui du scribe dans la chaîne opératoire de fabrication du manuscrit.
Le terme « enluminure » vient, du latin illuminare (éclairer) ; à l’origine, un décor destiné à indiquer les divisions du texte, en un temps où l’on n’avait pas l’habitude de séparer les chapitres ou les parties d’un volume. On utilisait alors des lettres ornées, d’abord pour « éclairer » le texte, le rendre plus compréhensible, puis pour en augmenter l’attrait. Les premiers décors étaient de simples dessins à la plume et à l’encre noire, éventuellement rehaussés de rouge. Assez vite, on en vint à accorder autant de soin à la décoration des lettrines qu’aux illustrations proprement dites. Par abus de langage, on en vint à utiliser le terme d’enluminure pour désigner l’ensemble des éléments décoratifs et des représentations imagées exécutées dans un manuscrit pour l’embellir.
Quant à lui, le terme « miniature » vient du latin minium, encre de couleur rouge ou rouge orangé utilisée pour tracer les initiales, parfois le titre et les premiers mots d’un texte ou d’un chapitre. Par abus de langage, le terme a fini par désigner une peinture exécutée dans un manuscrit et plus particulièrement celle qui appartient à l’illustration proprement dite.
La décoration des manuscrits peut affecter certains éléments du texte, en particulier les lettres initiales des livres, des chapitres ou des paragraphes. Si l’initiale est tracée sur un fond peint, qui sert d’encadrement, et rehaussé d’or ou d’argent, on l’appellera lettrine. Si au contraire la facture décorative est plus sobre et l’initiale réalisée seulement en couleur dans un corps plus grand que celui du texte, elle portera simplement le nom d’initiale.
Selon les cas, le travail d’enluminure peut être intégré au scriptorium ou dépendre d’un atelier laïc de peintres enlumineurs. Quoi qu’il en soit, l’enlumineur réalise son travail à partir des indications notées au préalable dans le manuscrit par le chef d’atelier. Selon son savoir-faire, ces indications peuvent être accompagnées de dessins préparatoires, d’esquisses, de modèles ou de patrons destinés à être copiés ou de dessins préparatoires. Sous la direction du chef d’atelier, plusieurs artisans œuvrent à l’ornementation du manuscrit (dessinateurs, coloristes, doreurs), qui remplissent chacun une fonction spécifique et interviennent à un moment précis dans l’exécution de la peinture.
La première étape de l’enluminure consiste à dessiner, à la mine de plomb, les lettres, les scènes et les figures qui doivent être peintes par la suite. C’est alors que se met en place l’architecture de l’enluminure à venir. Interviennent ensuite en premier lieu les enlumineurs des lettres et des marges. Une fois leur travail achevé, vient le tour du peintre d’ystoires, chargé d’exécuter les peintures à pleine page ou demi-page.
Le travail pictural débute avec la pose de l’assiette à dorer en vue de l’application du métal (or, argent, cuivre, étain) de la dorure. Cette assiette est une couche de fond servant à définir les limites du décor ou de la lettre à dorer et propre à recevoir la feuille métallique. L’assiette est constituée de bol d’Arménie, de blanc d’Espagne et de colle de poisson mêlés dans des proportions variables selon les ateliers. Une fois le métal posé et fixé à l’assiette, le doreur entreprend son brunissage (polissage), au moyen d’une pierre d’agate ou d’une hématite. Pour parvenir à réaliser de belles dorures, le parchemin de veau est préféré à celui de mouton, pour sa souplesse, sa finesse et sa solidité qui le font résister à l’humidité et garder un aspect très lisse. Pour cette raison, on a parfois inséré dans des manuscrits en peau de mouton, des feuillets en vélin, appelés à recevoir les riches ornementations dorées.
A l’intervention du doreur succède celle du peintre pour la mise en couleur des figures. Composées de pigments naturels (ocres, cinabre (rouge), orpiment (jaune), lapis-lazuli (bleu), azurite (bleu), cuivre (vert), noir de carbone, céruse (blanc de plomb), pour l’essentiel), mélangés à des liants de natures diverses, les couleurs sont appliquées selon des techniques différentes entre l’époque romane et l’époque gothique. Dans un premier temps, elles sont appliquées en couches superposées de tons purs. Les aplats de tonalité moyenne précèdent alors les tons sombres qui viennent suggérer les ombres. Puis, viennent les tons clairs, qui achèvent de donner leur modelé aux figures et aux vêtements. Des rehauts blancs ou clairs, appliqués ponctuellement viennent ensuite donner davantage de matérialité aux personnages en simulant les effets de la lumière.
À partir du XIVe siècle, il arrive fréquemment que la dorure, alors moins présente dans les fonds, soit employée pour rendre l’illusion de cette lumière. Elle sert ainsi de rehaut, apportant éclat à la réalité représentée. Elle est alors appliquée à la coquille, posée en traits fins et délicats. C’est à cette époque également que la gamme des couleurs s’étend et que la technique picturale évolue. Désormais, les couleurs sont appliquées pures ou mélangées et par petites touches, permettant des jeux de contrastes plus complexes et des effets de transparence plus délicats.
L’invention de l’imprimerie au début de la seconde moitié du XVe siècle aurait pu marquer la fin du manuscrit et des arts dont il dépend. Les choses ne furent pourtant pas si évidentes et l’engouement pour le manuscrit dépassa de loin les limites du XVe siècle. Rappelons que, dans les derniers siècles du Moyen Âge, outre ses fonctions usuelles, le livre manuscrit enluminé était devenu pour une part un objet de luxe, un marqueur social et, pour les plus aisés de ses commanditaires, une pièce de collection. On conserve de nombreux exemples de manuscrits enluminés du XVIe siècle et nombre d’entre eux témoignent même des soucis esthétiques propres non plus au Moyen Âge mais bien aux recherches de la Renaissance.
Par ailleurs, les premiers imprimés (incunables) conservent la présentation du manuscrit, seule forme alors concevable. Ils se veulent aussi parfois hybrides. Les enlumineurs se voient alors réservés le soin d’y exécuter les initiales et la décoration marginale. Le parchemin, plus adapté à recevoir la peinture, continue ainsi d’être employé dans les imprimés jusque dans les années 1530. En outre, les caractères typographiques utilisés au cours de cette première période imitent ceux employés à la même époque par les scribes : la gothique de forme est réservée aux textes sacrés et aux ouvrages liturgiques, tandis que les textes en langue vernaculaire et les ouvrages usuels se voient attribués la gothique bâtarde. Ainsi, nombre d’incunables peuvent être confondus, à première vue, avec des manuscrits.
Mais, à l’inverse, une part des imprimés présente, dès le XVe siècle, un aspect très moderne. Les deux incunables des Œuvres d’Ausone de 1472 et 1499, conservés à Bordeaux (inc. 16, 194), témoignent de cette distance prise parfois très tôt avec le livre manuscrit. Ils illustrent aussi la faveur accordée alors par les humanistes aux auteurs classiques. On y remarque l’emploi des caractères romains, qui avaient ressuscité la minuscule caroline, redécouverte justement par les humanistes. Les deux exemplaires offrent des choix de mise en page particuliers, qui rendent l’imprimé de 1472 plus lisible que celui de 1499 : bien que dense, le texte y est plus aéré et clairement structuré par la justification à gauche, par l’emploi de la ponctuation et par l’usage des capitales pour les initiales et pour les têtes de chapitre. On note que l’exemplaire de 1499 présente un titre en caractères gothiques.
On peut chercher à comprendre le déclin du manuscrit enluminé pour diverses raisons dont certaines sont toutefois liées à l’avènement de la typographie. La raison la plus évidente semble venir de ce que l’imprimé répond plus efficacement aux besoins qui ont donné naissance au manuscrit enluminé. La régularité des caractères typographiques assure une meilleure et plus régulière lisibilité, tandis que la multiplication des tirages permet une diffusion plus large des exemplaires donc une transmission accrue de la connaissance et par là même l’assurance de sa conservation en des lieux multiples. La démocratisation de l’usage des livres imprimés s’est accrue avec la réduction du coût de fabrication inhérente à l’emploi systématique du papier. Enfin l’effort de fabrication s’est vu, lui aussi, réduit. Désormais, le labeur du copiste, long, pénible et donnant naissance à un ouvrage unique, laisse place à une fabrication rapide et multiple.
Pourtant, les enjeux techniques et économiques ne sont certainement pas les seuls responsables de la décadence du manuscrit enluminé. L’expansion de l’imprimerie s’accompagna d’autres progrès majeurs pour les arts et leur diffusion, au premier rang desquels ceux liés à la gravure. Ayant connu son premier développement en Allemagne et aux Pays-Bas, elle gagna rapidement l’ensemble de l’Occident et participa largement la diffusion des formes artistiques nouvelles.
L’une des plus célèbres et des plus importantes bibliothèques de manuscrits médiévaux en France remonte au Moyen Âge. Il s’agit de la Librairie de Charles V (1364-1380). Initialement située dans la tour de la Fauconnerie, au Louvre, elle contenait des collections héritées de Louis IX et, chose remarquable, les nombreuses nouvelles productions fraîchement traduites du latin au français à la demande du roi. Elle initia un mouvement que les successeurs de Charles V sur le trône de France prolongèrent. Les collections publiques actuelles (Musées, Bibliothèques et Archives) en sont les lointaines héritières.
Plus précisément, l’origine des collections publiques en France remonte à la Révolution. Elles naquirent d’une volonté de rupture avec les collections de l’Ancien Régime et se sont ainsi constituées d’une part par la confiscation des biens du clergé et des émigrés, d’autre part par la nationalisation des collections royales. L’an VIII, le Consulat confia ainsi aux communes les livres saisis pendant la Révolution. Actuellement, cinquante-quatre bibliothèques bénéficient du statut de bibliothèques municipales classées (BMC) en France, aujourd’hui régi par le Code du Patrimoine, du fait qu’elles conservent des collections issues des confiscations révolutionnaires ou des fonds anciens, rares et précieux. Les trois bibliothèques municipales classées d’Aquitaine sont celles de Bordeaux, Pau et Périgueux.
Plusieurs manuscrits du catalogue témoignent aussi de l’enrichissement plus récent des collections publiques, par les confiscations consécutives à la promulgation des lois de séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905. Plusieurs manuscrits ayant appartenu au Séminaire de Bordeaux entrèrent alors dans les collections de la Bibliothèque municipale.
Outre ce moment fondateur d’intégration massive de nouvelles collections que fut la Révolution, d’autres possibilités existent qui permettent un enrichissement ponctuel ou régulier des collections. Instauré en 1537 par François Ier, le dépôt légal introduit un principe nouveau et décisif pour l’accroissement des collections : il enjoint aux imprimeurs et aux libraires de déposer à la librairie du château de Blois tout livre imprimé mis en vente dans le royaume. La création de cette obligation, constitue une date fondamentale pour la constitution des collections patrimoniales de la France, même si au départ elle ne fût que très inégalement appliquée.
Supprimé sous la Révolution au nom de la liberté, rétabli en 1793 pour protéger la propriété littéraire, le dépôt légal fut ensuite continuellement adapté aux besoins du temps depuis le XIXe siècle. Il est aujourd’hui régi par le Code du patrimoine. Le dépôt est effectué à la BnF et au sein d’un réseau national de pôles associés. Pour la région Aquitaine, le pôle associé pour le dépôt légal imprimeur est la Bibliothèque municipale de Bordeaux.
Limité d’abord au livre, ce dépôt s’est ensuite appliqué à la gravure, puis à la photographie, à la production audiovisuelle et multimédia (films, disques, cassettes vidéo ou audio, jeux vidéos), aux bases de données et progiciels, à la production radio et télé diffusée, et depuis 2006 aux sites Web. Il concerne cependant uniquement la production française la plus récente. Il ne concerne donc pas l’extension des fonds patrimoniaux.
Les bibliothèques consacrent une part importante de leur budget aux acquisitions destinées à compléter leurs collections d’ouvrages récents. Concernant les collections patrimoniales, composées de documents anciens, précieux et rares, tels que les manuscrits médiévaux, les acquisitions sont, par définition, plus ponctuelles. Les documents présentant un intérêt national font l’objet de subventions spéciales et d’une capacité, de la part des Bibliothèques, d’exercer le droit de préemption en salle des ventes. La bibliothèque municipale classée de Périgueux put ainsi acquérir, en 1995, le Pontifical à l’usage de Périgueux, au titre du Fonds Régional d’Acquisition pour les Bibliothèques en Aquitaine (FRAB Aquitaine).
La dation est un autre moyen d’accroissement des fonds patrimoniaux. Il s’agit d’un mode de paiement exceptionnel qui permet au contribuable de s’acquitter d’une dette fiscale par la remise à l’Etat d’œuvres d’art, de livres, d’objets de collection, de documents, de haute valeur artistique ou historique. Entre 1994 et 2008, la bibliothèque de Montesquieu a ainsi quitté le château de La Brède pour entrer dans les réserves de la bibliothèque municipale de Bordeaux.
Autres moyens d’enrichissement des collections patrimoniales, les dons et legs sont de natures très diverses. Ils concernent aussi bien un ouvrage isolé que des bibliothèques entières, au contenu d’intérêts divers. À titre d’exemples, l’abbé Alfred Estignard fit don de son Antiphonaire à l’usage du Diocèse de Paris, à la Bibliothèque de Périgueux le 10 avril 1847. L’abbé Albert Marcadé, quant à lui, fit don de sa collection d’art religieux, à l’Etat, le 9 octobre 1947.
Plus rares, les dépôts constituent néanmoins une dernière source d’augmentation des collections, pouvant se transformer ultérieurement en dons ou legs. Ils donnent lieu à convention passée entre le déposant et l’établissement dépositaire. C’est le cas, par exemple, des Heures à l’usage de Rome, conservées par la Bibliothèque municipale classée de Pau. Cet imprimé du XVIe siècle, qui possède sept enluminures pleine page ainsi que des marges à décor végétal, des lettres ornées et des vignettes historiées est un dépôt du Musée des Beaux-Arts de la ville.
Au cours du Moyen Âge, les commandes de manuscrits ont eu des origines diverses, selon les époques et selon la typologie et les usages de ces manuscrits. Pour la période romane, la majeure partie des commandes et de la production de manuscrits provenait des établissements monastiques. Les ouvrages ainsi produits avaient pour vocation de servir à la tenue de l’office divin, à la pratique quotidienne de la liturgie, à l’enseignement, la lecture et la méditation des moines ainsi qu’à la gestion de la communauté et de ses biens et droits. Jusqu’à une période récente, nombre de ces manuscrits ne quittèrent jamais les monastères dans lesquels ils avaient vus le jour ; ce fut le cas, par exemple, de la Bible de l’abbaye de la Sauve-Majeure. Bon nombre voyagèrent aussi au sein des communautés correspondantes.
Ce type de commandes se prolongea tout au long du Moyen Âge, mais fut concurrencé par de nouveaux types de commandes, répondant aux besoins de nouveaux lectorats. D’une part, les hauts prélats cultivés passèrent commandes pour leur bibliothèque et leur usage personnel. Les fonds manuscrits ainsi constitués furent parfois légués, par ces mêmes prélats à leur mort, aux bibliothèques de leur cathédrale ou à des abbayes desquelles ils se sentaient proches.
D’autre part, les commanditaires laïcs se firent de plus en plus nombreux, souhaitant posséder des manuscrits destinés à leur dévotion privée, à la lecture d’agrément ou à la collection. La traduction de la Bible en langue vernaculaire, le développement de la production littéraire, mais aussi celui des ouvrages liturgiques allèrent de paire avec cette demande croissante. Les manuscrits ainsi créés formèrent pour une part les collections les plus prestigieuses, dont une partie gagna les collections publiques. Une autre part de ce patrimoine, souvent moins illustre, se transmit par héritage, fut perdue, détruite ou vendue. Certains de ces derniers manuscrits entrent parfois encore dans les collections publiques, dans des états de conservation divers. Au sein de notre catalogue, la collection Marcadé se résume, par exemple, à un assemblage de miniatures découpées.
D’autres productions, plus usuelles, plus fonctionnelles constituent un dernier pan du panorama des manuscrits médiévaux. Il s’agit des actes (juridiques, fonciers, notariaux, etc.) et de leurs recueils (les cartulaires), des règlements, des coutumes, mais aussi des ouvrages d’étude et d’enseignement, des traités techniques et scientifiques. La plupart d’entre eux furent conservés dans les établissements, les institutions qui les forgèrent et dont ils constituaient en quelque sorte les archives, les témoignages de leurs droits, etc. Partant, leur destin fut lié à ces institutions. Pour beaucoup, ils entrèrent ainsi dans les collections publiques (Bibliothèques et Archives) sous la Révolution. La nature de certains de ces documents, comme les traités techniques et les manuscrits d’enseignement, les ont conduit également à intégrer les collections publiques, du moins pour ceux ayant été conservés dans les établissements monastiques et dans les collections royales.
Certains des manuscrits entrés dans les collections publiques d’Aquitaine furent créés ailleurs, en France ou à l’étranger ; inversement, au cours du temps, certains manuscrits aquitains ou dont le texte original fut écrit en Aquitaine sont entrés dans des collections publiques nationales ou d’autres régions. Parmi ces derniers, on compte certains manuscrits remarquables, à l’instar du Commentaire de l’Apocalypse de Beatus de Liebana (moine asturien du VIIIe siècle), copié avant 1072 au scriptorium de Saint-Sever (Landes) et plus connu sous le nom de « Beatus de Saint-Sever ». Conservé actuellement à la BnF (ms. Lat. 8878), le manuscrit circula dans plusieurs collections particulières en Vendée à la fin du XVIe siècle, avant d’entrer dans la collection de la famille d’Escoubleau de Sourdis, au XVIIe siècle. En 1769, il était signalé parmi les lots de la vente Louis-Jean Gaignat (n° 93). Il entra finalement à la Bibliothèque royale en 1790.
Ce manuscrit du XIIIe siècle est un cartulaire produit dans le scriptorium de l’abbaye de la Sauve-Majeure, dont il retranscrit les droits et titres. Il y fut conservé jusqu’à la Révolution. Son second propriétaire connu est Alexis Monteil : paléographe, né en 1769, auteur du Traité de matériaux manuscrits dans lequel il fait l’inventaire de nombreuses pièces d’archives. Sensible à la destruction des manuscrits, notamment sous la Révolution, il n’a de cesse d’alerter l’opinion afin que l’Etat procède à la mise en place d’une protection du patrimoine écrit. Le troisième propriétaire, sir Thomas Phillips, a possédé l’une des plus grandes collections de manuscrits au XIXe siècle. Celle-ci fut finalement dispersée en plusieurs ventes ; il semble que ce cartulaire ait été vendu en 1886. Quoi qu’il en soit, c’est en 1894 qu’il entre dans le fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Bordeaux.
Ce livre fut confectionné dans le troisième quart du XIIIe siècle à l’initiative de la municipalité d’Agen, pour recevoir les serments de fidélité aux consuls et des personnages de marque venant en Agenais. Le Conseil de la ville d’Agen le conserva jusqu’à la Révolution, continuant de le tenir à jour; il contient notamment la liste des jurats de la ville entre 1633 et 1707. Puis, le manuscrit disparut pendant plus d’un siècle. C’est au début du XXe siècle qu’il fut retrouvé par des particuliers, qui le confièrent à la Bibliothèque municipale en 1910. En 1991, il fut déposé aux Archives départementales du Lot-et-Garonne. Finalement, en 2008, il retrouva les collections de la Bibliothèque municipale, où il est encore conservé.
Le Livre de la chasse rédigé par Gaston Fébus (comte de Foix et vicomte de Béarn) en 1387 connut une fortune importante qui se manifesta notamment par sa copie en de nombreux manuscrits. L’un d’eux est conservé dans les collections de la Bibliothèque du Musée du château de Pau et figure dans notre catalogue. Son premier possesseur connu fut Louis-Auguste de Bourbon (1694-1741). Puis, après avoir appartenu à Louis Gaignat (1697-1768), le manuscrit entra dans une collection privée britannique, avant d’appartenir à Henri Gallice, puis à Marcel Jeanson (1885-1942). Il fut finalement acheté par le Musée national du Château de Pau le 1er mars 1987, lors d’une vente à Monte-Carlo.
Ce manuscrit de la fin du XIVe siècle a été conçu dans un scriptorium bordelais. L’auteur, Oldradus de Ponte, était un juriste italien. Il enseignait le droit canonique et le droit civil à l’Université de Padoue. Guillaume Serpilli, de Saint-Emilion, y est mentionné comme propriétaire de cet ouvrage ; le premier connu. Son nom apparait également dans une note (folio 168v) avec celui du second possesseur connu, Gérard de Peyrato, au XVe siècle. Cette note nous livre en outre le nom du copiste, Jean de Corssi. Si l’on connaît donc bien le début de la vie de ce manuscrit, il en va tout autrement pour les siècles qui suivirent : il fut redécouvert par hasard en 1867, dans une maison de la rue du Loup à Bordeaux, où il servait… d’appui à une pièce de charpente.
Ces quarante-six pièces constituent un lot de documents acquis par la ville de Bordeaux vers 1880 et déposés à la Bibliothèque municipale. Il s’agit d’archives de l’Inquisition en Aragon, concernant des procès s’étant tenus entre 1485 et 1492. Au XIIIe siècle, l’équilibre social qui avait prévalu jusque là entre les populations des trois confessions chrétienne, juive et musulmane dans l’ensemble de la péninsule ibérique, fut rompu, aux dépens de la population juive. Mesures discriminatoires et décrets d’expulsion poussèrent ces derniers à choisir entre l’exil et la conversion. En 1391, eut lieu la grande révolte contre les juifs de Séville, sous l’incitation de l’archidiacre Fernan Martinez ; 4000 juifs furent alors tués tandis que les synagogues furent incendiées. Ces manifestations ségrégationnistes se répandirent dans l’ensemble des royaumes de la péninsule, notamment en Aragon. Les conversions de force et les tueries entraînèrent la diaspora du peuple juif ainsi que l’apparition des conversos, juifs convertis, qui continuèrent à pratiquer leurs rites en secret. En 1469, Ferdinand d’Aragon épousa Isabelle de Castille. En 1478, sous l’influence des Rois Catholiques, le pape Sixte IV créa l’Inquisition espagnole, dont le Tribunal entra en service en 1480. S’élança alors une vague de procès pour hérésie et apostasie, dont les juifs et conversos furent les principales victimes. Ce fonds documentaire est donc très précieux pour aider à comprendre cette période complexe.
Ce manuscrit, conservé à la Bibliothèque Municipale Classée de Périgueux, fut conçu au XVIIIe siècle. Son texte et ses illustrations portent sur l’histoire du Périgord et du Sarladais, du VIIe siècle au début du XVIIIe siècle. Mais, cette chronique fut originellement rédigée par Jean tarde, chanoine de Sarlat et savant, né à La Roque Gageac en 1561. Homme de terrain, qui avait connu les guerres de Religion, il avait été missionné par l’évêque Louis I de Salignac, pour établir l’état du diocèse. Il en composa la cartographie, qui fut imprimée en 1624. Il fit de même pour le diocèse de Cahors, tirant de cette expérience la matière à la rédaction d’un ouvrage sur l’Usage du cadran à aiguille aimantée (la boussole). Rédigeant, dans le même temps, les Chroniques de l’Eglise de Sarlat, il fit œuvre d’historien. Il fut également homme de sciences, mathématicien et astronome. Ainsi, il voyagea, dès 1593, à Rome, y rencontrant certains savants. Puis, l’évêque de Sarlat, Louis II de Salignac, l’emmena dans ses déplacements, au Parlement de Bordeaux, à Rome et à Florence où le chanoine rencontra Galilée, dont il demeura l’un des correspondants. Avec lui, Sarlat, fut ouverte sur le monde savant de l’époque, avec lequel Jean tarde entretenait des relations régulières. Il publia, sous le titre de Borboni Sidera (Astres des Bourbons), ses réflexions et ses découvertes issues de l’observation des taches solaires. Cette somme fut éditée trois fois entre 1620 et 1627. Plusieurs autres de ses recherches furent publiées, notamment des traités de mathématiques.
Ce manuscrit présente deux cartes, un plan de Sarlat et vingt-deux dessins à la plume coloriés à la gouache. Ces derniers représentent des scènes religieuses et historiques ainsi que des édifices laïcs et religieux de Périgueux et de Sarlat. On compte aussi soixante-trois blasons de la noblesse périgourdine. Cette richesse pour l’histoire régionale et plus particulièrement sarladaise, explique que ce manuscrit, bien que n’appartenant pas au Moyen Âge, a été sélectionné pour intégrer le présent catalogue.
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